Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
REVUE DES DEUX MONDES.

cercle intime du czar. Cette nuance d’ascétisme dans le langage ne contribua pas peu à lui gagner l’affection des Genevois ; leurs dispositions bienveillantes l’aidèrent à mener à bien les projets dont la conduite lui était remise, et les titres de bourgeois des cantons de Vaud et de Genève, pompeusement ajoutés par la suite à la longue liste de ses honneurs, dans les pièces diplomatiques qu’il signa, témoignèrent de son estime et de son affection pour ce pays. On lui doit cette justice, que pendant son séjour en Suisse il ménagea habilement tous les intérêts et acquit des droits à la reconnaissance des nouveaux états par les sentimens libéraux dont il fit preuve et dont il assura le triomphe. Mais il ne devait pas rester long-temps éloigné de l’empereur Alexandre, qui, impatient de le revoir, lui donna l’ordre de le joindre. Il arriva à Paris au moment où toutes les stipulations étaient arrêtées, le traité de Fontainebleau signé et la chute de Napoléon accomplie. M. Capodistrias blâma vivement les articles du traité ; il s’éleva avec force contre l’imprudence du délai qui remettait à un congrès futur la discussion des intérêts compliqués que les états de l’Allemagne avaient à débattre après tant d’années de perturbation et une victoire à frais communs. Cette liberté d’opinion fut appréciée par Alexandre, et au grand dépit des courtisans, il conféra l’ordre de Saint-Wladimir à celui qu’il nommait son ami ; cependant il ne jugea pas à propos de le retenir long-temps auprès de sa personne, et, après avoir joui quelques jours de sa présence, il le renvoya à son poste.

À côté de l’abdication de l’empereur, une chute beaucoup plus humble ne fut point remarquée. Voisine de la grande catastrophe, cette ruine modeste, ensevelie dans ses débris, fut cependant pleurée en silence par un grand nombre de cœurs dévoués, et peut-être ses cendres pèseront-elles plus dans la balance de l’avenir que les lambeaux du trône impérial. La seconde hétairie tomba avec Napoléon. Nous l’avons laissée au berceau en 1806. Depuis ce temps elle avait marché à grands pas ; ses ramifications s’étendaient sur la Turquie entière ; il y avait des hétairistes dans le divan, Ali-Pacha en était entouré ; l’empire français leur avait promis son aide, et, en 1814, lorsque les alliés entrèrent à Paris, 25,000 fusils, déposés à Corfou, allaient armer une population enthousiaste et altérée de liberté, dont une armée française aurait soutenu les efforts. Tout fut dissous ; l’hétairie se sépara une seconde fois, les patriotes remirent à des temps plus heureux la réalisation de ces espérances que l’on n’abandonne pas une fois qu’on les a conçues.

Le congrès de Vienne venait de s’ouvrir et de livrer carrière à ces inextricables difficultés que M. Capodistrias avait prévues, et que, selon lui, l’on eût beaucoup mieux résolues dans les premiers enivremens de la victoire. Les têtes s’étaient refroidies, les intérêts seuls parlaient haut, et la discorde était près de sortir du chaos des questions relatives à l’avenir de la Pologne et de la Saxe, c’est-à-dire des réclamations les plus vives de la Prusse. Alexandre ne crut pas pouvoir se passer en cette circonstance de l’habileté de son ministre en Suisse. M. Capodistrias, adjoint au prince Razomowski et à M. le chancelier Hardenberg, y trouva une nouvelle occasion de rendre à son