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sultan et de chasser les Turcs de l’Europe, il adopta avec ardeur les principes de la révolution française, qui venait d’éclater, et noua des relations étendues dans la Grèce, à Constantinople et en Italie. Il allait partir avec ses compagnons pour exécuter son entreprise, quand il fut arrêté à Vienne par ordre du gouvernement autrichien, livré aux ministres ottomans et empalé dans le sérail. Cette première tentative, qui reposait tout entière sur les talens et l’influence du chef, fut ainsi anéantie ; mais l’idée qui l’avait conçue était si profondément celle de la nation, que peu d’années après, vers 1806, une seconde hétairie se forma dans l’Italie septentrionale. La première s’était appuyée sur la révolution française ; la seconde se donna pour appui le pouvoir de Napoléon, qui cependant n’eut connaissance de ses projets que vers 1810. Elle voulait opérer la délivrance de la Grèce, non de cette Grèce séquestrée du continent par la double chaîne de montagnes qui forme sa frontière, mais de la Grèce véritable, augmentée de l’Épire, de la Thessalie, de la Macédoine, de la Thrace, de Constantinople et des côtes de l’Asie mineure ; en un mot, l’hétairie voulait reconstituer l’empire grec ; projet gigantesque, mais praticable. Répéter que, sur aucun point du territoire conquis, les Turcs ne tiennent solidement au sol ; que partout où ils se sont établis, principalement dans les pays chrétiens, ils n’ont fait que se superposer en dominateurs barbares aux races soumises, c’est reproduire un lieu commun cent fois répété, mais dont les conséquences immédiates, par rapport à la Grèce, n’ont pas toujours été examinées avec une réflexion sévère et mûrie. Les Hellènes n’avaient jamais pu voir dans les Ottomans que des étrangers oppresseurs, et, le gouvernement n’exigeant de ses raïas que de l’argent, et les laissant du reste s’administrer à peu près comme bon leur semblait, le régime municipal, qui s’était conservé parmi eux, irritait et vivifiait sans cesse le besoin de l’indépendance. Si l’on réfléchit en outre que toutes les lumières du pays se concentraient en eux, que l’industrie, la navigation, le commerce intérieur, et surtout extérieur, se trouvaient dans leurs mains ; que, sur les dix millions d’ames qui peuplent la Turquie d’Europe, ils comptent pour sept millions ; qu’enfin dans les îles, dans la Morée, dans les montagnes, certaines portions de la population grecque, telles que les Maïnotes, les Hydriotes, les Psariotes, les Souliotes, n’ont jamais perdu une indépendance, pénible à conserver sans doute et souvent attaquée, mais réelle, on cessera de répudier comme impraticable le plan des hétairistes ; on nous permettra de le constater ici pour la première fois dans toute son étendue.

Plusieurs des capitaines rouméliotes qui, par l’entremise de l’évêque Igniatius, connurent alors M. Capodistrias, appartenaient à la seconde hétairie ; mais, s’il écouta l’expression de leur haine pour les Turcs, il ne fut point instruit de leurs projets : quelque affectueuses que fussent ses manières, on lui soupçonnait déjà pour la Russie un fonds d’attachement qui glaçait les confidences ; on fut bientôt à même d’apprécier la sagesse de cette réserve.

La paix de Tilsitt ramena les Français dans les Îles ; le gouvernement national fut renversé, et la république régie comme dépendance immédiate de