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manque bien des choses qu’on résume sous le mot dessin, et ces choses sont très essentielles. Ce qui reviendrait à peu près à dire qu’il faut voir en lui un grand talent, mais non un grand maître.

On pourra aussi s’étonner justement de trouver dans un artiste si distingué quelques écarts systématiques injustifiables, par exemple, son évidente prédilection pour le laid. Il ne flatte pas assurément notre espèce dans la représentation qu’il en fait, et il nous rapproche un peu trop de l’ordre des quadrumanes. La résolution d’être original en tout, de ne rien faire qui ressemble à ce que d’autres font ou ont fait, peut aisément conduire un homme d’esprit fort loin. Ainsi, on nous persuaderait difficilement qu’il soit indispensable, dans quelque système de peinture que ce soit, de négliger à ce point l’exécution du détail des choses que, regardées de près, elles ne laissent voir qu’un travail ingrat, maladroit, négligé, sans goût et sans charme. Ce qu’il y a de certain, c’est que parmi les bons maîtres de l’art, même du second ordre, coloristes ou autres, il n’en est pas un dont la peinture ne puisse être impunément vue de près. Celle de M. Delacroix n’a pas ce privilége.

Quoi qu’il en soit de la valeur de ces critiques, dont nous acceptons du reste volontiers la responsabilité, il ne faut pas les exagérer. Prenons l’artiste tel qu’il veut ou peut être, et, sans nous enquérir trop curieusement de ce qu’il ne nous donne pas, jouissons de ce qu’il nous donne, quoique ce qu’il nous donne ne soit pas le meilleur de l’art.

Nous retrouverons plus loin M. Delacroix avec sa Noce juive et son Naufrage.

Nous serons plus court, sur l’œuvre de M. Gallait, qui se laisse beaucoup plus facilement expliquer, et sur laquelle il ne peut y avoir de disputes. L’Abdication de Charles-Quint est en grand ce qu’est en petit le Gustave Wasa de M. Hersent, qui eut les honneurs d’un salon et d’une belle gravure. Le tableau de M. Gallait aurait pu avoir la même fortune, et à peu près par les mêmes motifs. Il est composé et exécuté avec beaucoup de soin, d’étude et d’habileté. La scène est disposée à souhait pour l’intelligence du fait représenté. La distribution des personnages est très bien entendue et explique d’elle-même ce qu’ils font, sinon ce qu’ils disent ou pensent. Sur une estrade élevée, sur laquelle porte toute la lumière, on voit Charles-Quint debout revêtu d’une longue simarre de drap d’or ; appuyant une de ses mains sur l’épaule d’un courtisan, il tient l’autre étendue sur la tête de son fils Philippe agenouillé devant lui ; un peu en arrière, la vieille