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DE LA PUISSANCE ANGLAISE DANS L’INDE ET EN CHINE.

qui se présentent comme également nécessaires ; bien qu’à des titres si différens selon les localités dans un si vaste empire, cette difficulté est immense ; peut-être est-elle insurmontable ! La Providence y pourvoira par ces interventions inattendues qui remédient aux fautes de l’humanité. Mais il faut le reconnaître, jamais les conjectures de l’homme d’état, jamais les méditations du philosophe, n’ont dû embrasser des élémens plus importans et plus divers, et on se demande involontairement ce que deviendra l’Inde sous la domination mercantile et guerrière de l’Angleterre, et sous la triple influence des lois de Brahma, de Mahomet et de Jésus-Christ. Quelle complication étrange ! que d’élémens de vie ! que de germes de mort ! Ne semble-t-il pas que ce corps gigantesque soit condamné à grandir irrégulièrement sans relâche et à se briser enfin sous son propre poids ? Lord Clive avait été le premier des délégués du pouvoir souverain dans l’Inde anglaise à prévoir et à prédire hautement ce développement fatal. Quelques années avaient à peine passé sur les prophétiques paroles de ce grand homme, que le parlement anglais déclarait solennellement que « les plans de conquête et d’agrandissement dans l’Inde étaient contraires au désir, à la politique et à l’honneur de la nation[1]. » Les évènemens sont venus donner le plus éclatant démenti à ces théories parlementaires, et confirmer les prévisions du vainqueur de Plassey. Et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est qu’à dater de cette protestation contre toute entreprise ambitieuse, les accroissemens de territoire sont devenus plus considérables et plus fréquens. Quand lord Cornwallis arriva dans l’Inde, en 1786, il trouva sir John Macpherson engagé dans des négociations avec les Mahrattes et le Nizâm, négociations qui devaient entraîner le gouvernement suprême dans une guerre avec Tippo-Saïb. Le premier acte de lord Cornwallis fut de rompre ces négociations, en déclarant que les Anglais ne s’engageraient que dans des guerres strictement défensives. Son second acte fut de proposer une alliance à ces mêmes Mahrattes, à ce même Nizâm, et de commencer de concert avec eux une lutte dont le résultat fut un agrandissement considérable du territoire de la compagnie[2]. Ce n’était pas la faute de lord Cornwallis, mais bien celle des circonstances dont le torrent l’a entraîné malgré ses efforts. Comme lui, la plupart de ses successeurs, loin de placer pour ainsi dire les évènemens dans la dépen-

  1. Act the 24th, George III, chap. XXV, 1784.
  2. Edinburgh Review, no CXLIV, 1840