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LE SALON.

aient existé, le Corrége également ; Raphaël et le Poussin étaient des coloristes, et des plus habiles. Mais le dessin de celui-ci n’est pas le dessin de celui-là, la couleur de l’un n’est pas la couleur de l’autre. Chacun d’eux a une couleur convenable à son dessin et un dessin convenable à sa couleur, et de même des autres qualités. Chacun compose, dessine, peint, et se sert de la lumière d’une façon supérieure, mais diverse. Seulement, il y a toujours une de ces choses qui semble prédominer et absorbe les autres à son profit et dans son intérêt ; et devenant dès-lors la plus apparente, elle classe le peintre. L’art, en effet, ne peut réaliser énergiquement et mettre en saillie qu’un de ces élémens à la fois ; il faut qu’il prenne parti. Mais loin d’annuler complètement ceux qu’il sacrifie, il leur laisse encore une assez grande valeur relative. Un seul sera dominant, mais les autres ne disparaîtront point. Exiger la combinaison de ces qualités à part égale et dans un degré éminent, ce serait réclamer de l’art ce que la nature seule peut faire, la réunion des contraires et la neutralisation des oppositions ; comme si on voulait, par exemple, appliquer le coloris de Rubens au dessin de Michel-Ange, ou éclairer à la Rembrandt une composition de Poussin. On peut, sans doute, préférer un de ces élémens aux autres, et il y a même de très puissans motifs de regarder la couleur comme un des moins relevés ; mais il ne faut pas vouloir qu’ils règnent tous en même temps. Il ne faut pas davantage imaginer qu’un seul, quelque éminent qu’il soit, puisse subsister à part et se passer de tout le reste.

Ainsi, pour ne pas quitter M. Delacroix, lui demander la pureté et la précision du contour, la science du modelé et l’idéal de la forme pure, la grandeur du style, l’élévation de la pensée morale, en prenant pour type de toutes ces choses une école quelconque, ce serait lui demander un non-sens, une contradiction, une impossibilité esthétique. Or, c’est là ce qu’on fait tous les jours, lorsque, en déplorant son dessin, on lui oppose M. Ingres.

Mais si, sous cette forme, l’objection porte à faux, elle devient à la fois très raisonnable et très grave lorsque, tout en acceptant M. Delacroix pour coloriste, et en lui accordant tout ce qu’il a droit d’exiger à ce titre, on lui reproche d’aller au-delà ou de rester en-deçà des besoins de sa couleur, de ne pas savoir être un coloriste complet, comme Rubens, comme Titien, comme tant d’autres, qui sont des coloristes sans doute, mais qui sont aussi des dessinateurs, des peintres. Voilà, en effet, ce qu’on peut reprendre en M. Delacroix. Il a de rares qualités de coloriste, mais comme peintre, en général, il lui