Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
REVUE DES DEUX MONDES.

lieu sur la jonque de guerre, le mandarin annonça simplement qu’il était chargé d’un message verbal de Ké-shen, à l’effet de prévenir l’officier anglais (porteur de la lettre de l’amiral), qu’il n’avait pas le temps de répondre immédiatement à la lettre comme il l’aurait désiré, que sa réponse serait envoyée le lendemain par une personne autorisée à recevoir la dépêche destinée à l’empereur pour qu’elle fût transmise à Péking. Les manières du mandarin paraissent avoir été peu courtoises, bien que son langage n’eût rien d’offensant ; il affecta de ne point se lever et de ne pas saluer les officiers anglais à leur arrivée à bord, et après voir délivré le message du vice-roi, il ajouta que, s’ils avaient quelque chose à dire, ils feraient bien de le dire tout de suite, attendu qu’on ne leur accorderait pas une autre occasion de le faire.

D’après les observations qu’on put faire pendant que la flottille était à l’ancre dans la rivière, on pensait qu’il n’aurait pas fallu plus d’une demi-heure aux équipages des six embarcations pour se rendre maîtres des deux forts. Il n’y avait qu’un très petit nombre de soldats ou de gens armés soit dans ces forts, soit aux environs ; mais on y remarquait une vingtaine ou une trentaine de mandarins de différens ordres (comme on en pouvait juger par leurs boutons), évidemment envoyés pour cette occasion particulière ; attendu qu’il n’y avait d’autres habitations visibles sur les rives du fleuve que quelques misérables huttes. On remarqua que quelques hommes étaient occupés à élever une espèce d’épaulement avec fossés. Ce retranchement s’étendait depuis le fort placé sur la rive méridionale du fleuve, jusqu’à une sorte de plate-forme élevée, flanquée d’un fossé communiquant à la rivière et sur laquelle, à une visite subséquente, on fut assez étonné de voir six pièces de campagne en cuivre de bonne apparence, montées sur leurs affûts, et que l’on eut toute raison de croire être les mêmes canons dont lord Macartney, lors de son ambassade, avait fait présent au céleste empereur. Ainsi, par une de ces étranges révolutions dans les affaires humaines que l’histoire a eu à enregistrer depuis un demi-siècle, ces canons se trouvaient aujourd’hui tournés contre les donateurs, quarante-sept ans, presque jour pour jour, après l’arrivée de l’ambassade de lord Macartney dans ces mêmes parages. Il est vrai que les Chinois n’affectent de voir dans les autres peuples que des tributaires. Au reste, d’après tout ce qu’on put observer, il parut évident que la visite de la flotte avait été un évènement tout-à-fait inattendu. Les mandarins envoyés aux forts, et ces préparatifs guerriers poussés en apparence avec tant d’activité à l’embouchure de la rivière, tout cela ne pouvait guère en imposer sur la pauvreté et l’insuffisance des moyens de défense.

Les embarcations revinrent au mouillage dans la soirée. Le jour suivant, dans la matinée, un mandarin vint à bord du Wellesley avec une lettre de Ké-shen à l’amiral, annonçant qu’il recevrait avec plaisir la dépêche dont l’amiral était porteur, et serait prêt à la transmettre à Péking pour qu’elle fût soumise à l’empereur et qu’on prît les ordres de sa majesté impériale à cet égard, mais qu’il faudrait dix jours pour qu’on pût recevoir et faire parvenir à l’amiral la réponse. Le vice-roi faisait observer que les gouverneurs des pro-