Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LE SALON.

clartés possibles. Avec tout cela, leur tâche n’est pas seulement difficile, elle est impossible. De quoi les charge-t-on en effet ? de décider que tel ou tel ouvrage est bon ou mauvais, considéré absolument et abstraitement en lui-même comme production de l’art ? pas du tout. La besogne serait certes déjà, à ce point, fort épineuse ; mais on leur demande une chose bien autrement subtile : on veut qu’ils tracent, au milieu d’une masse d’ouvrages d’esprit et d’imagination, dont le goût, la manière, la conception, l’exécution, différent de toutes les manières dont de pareilles choses peuvent différer, c’est-à-dire à l’infini, une ligne de séparation telle que tout ce qui sera placé à gauche est rejeté, et tout ce qui sera placé à droite admis. Mais pour établir ces deux catégories, il faudrait une règle certaine, une mesure fixe. Or, cette règle et cette mesure, où les prendre ? Assurément, il ne faudrait rien moins que la souveraine perspicacité de Dieu même pour faire ce partage exact des élus et des réprouvés. Où commence-t-il, ou finit-il, ce degré relatif de perfection ou d’imperfection qui permet à celui-ci d’entrer et laisse celui-là à la porte ? À quoi reconnaître, comment déterminer ce minimum de mérite qui suffit, et ce maximum de mérite qui ne suffit pas ? Évidemment, rien de tout cela n’est assignable, et nous sommes ici en plein arbitraire. Et ce que la raison conçoit devoir être à priori, se réalise dans le fait. Chaque année voit se renouveler le scandale d’exclusions dont le ridicule n’est surpassé que par celui des admissions ; et, ce qui est plus édifiant encore, on voit des ouvrages rejetés, faute d’attention, à l’unanimité en 1840, être acceptés, faute de mémoire, à l’unanimité en 1841. C’est là, en définitive, une sorte de loterie, et non un jugement régulier. Sur ce point, une réforme quelconque est indispensable. Les décisions fussent-elles toujours justes, leur équité ne saurait jamais être pouvée ; elles seront toujours et nécessairement empreintes d’arbitraire, et par conséquent frappées de nullité et de déconsidération. Mais dit-on, par quoi les remplacer ? Par rien. Puisque ce salon est un concours, ouvrez la porte aux concurrens, et n’anticipez pas sur le jugement du public, qui est le vrai juge. L’axiome économique est ici applicable de tous points : laissez faire, laissez passer. Vous aurez de plus quelques centaines de mauvais tableaux, mais vous en gagnerez une vingtaine de passables ; quel inconvénient y aura-t-il à cela ? La proportion restera ce qu’elle est, et il n’y aura rien de changé dans l’aspect du salon. — Mais l’encombrement ? — Le Louvre est vaste, il peut contenir le double de ce que vous y entassez chaque année. Tout le monde l’a dit, il ne faut aux œuvres de nos artistes d’autre