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dans ces évènemens quelque chose d’étrange et d’imprévu qui révèle l’action de causes encore imparfaitement étudiées, ou tout-à-fait incomprises. Cependant les véritables intérêts des peuples sont les mêmes ; le fond des grandes questions n’a pas changé ; les solutions sont modifiées ou ajournées par des accidens : voilà tout. Si des tendances rivales font halte en quelque sorte d’un commun accord, c’est qu’on a besoin, de part et d’autre, de gagner du temps : la rencontre n’est que différée, le choc aura lieu un jour, et c’est dans le calme qui précède l’orage qu’il faut que les nations se préparent aux luttes de l’avenir. Étrange spectacle que celui que présente le monde à la fin de l’année 1840 ! En Europe, la paix armée ; en Asie, la guerre, mais reléguée aux extrémités du grand continent, et ne se montrant, pour ainsi dire, qu’en parlementaire pour demander, au nom d’une reine européenne, à l’antique empire de Chine, réparation de l’insulte faite à la dignité d’un peuple, et garantie pour les intérêts du commerce et de la civilisation ! Quelles sont les causes véritables qui ont amené l’insulte ? Comment ces intérêts ont-ils été compromis ? Ce sont là des questions dont l’examen est plein d’enseignemens pour quiconque les étudie de sang-froid, et dont la cupidité insouciante des contrebandiers a pu seule méconnaître l’importance. Le gouvernement anglais ne nous semble cependant pas avoir donné assez tôt aux affaires de Chine toute l’attention qu’elles méritaient, et sa prévoyance habituelle s’est trouvée en défaut non moins que son habileté, quand il a négligé, en 1834, de se mettre en garde contre les éventualités dont l’abolition du privilége exclusif de la compagnie et l’introduction d’un nouvel ordre de choses menaçaient les relations de l’Angleterre avec le gouvernement chinois. D’ailleurs,

    l’Asie centrale. Des personnes haut placées avaient, disait-on, entre les mains copie de la correspondance des deux cabinets à cet égard, correspondance où les vues et les intérêts de la Grande-Bretagne et de la Russie étaient exposés et discutés avec la plus entière franchise, et l’on ne doutait pas que le gouverneur de Bombay n’eût été autorisé à diriger l’action de la presse dans le sens de la politique nouvelle. Il faut convenir que la soumission du khan de Khiva et l’active intervention de l’Angleterre, acceptées inopinément par la Russie, sont des faits de nature à justifier les bruits dont nous parlons. La Russie, avec sa réserve ordinaire, n’a autorisé que la publication des documens qui ne pouvaient porter aucune atteinte à sa dignité. Le général Perowski, dans une proclamation que les journaux de Saint-Pétersbourg n’ont reproduite qu’au mois d’octobre 1840, fit connaître « que le chef de Khiva, envisageant sous leur véritable jour les intérêts de son khanat, s’était empressé de faire un appel à la magnanimité de sa majesté impériale, après avoir toutefois satisfait sans condition aux principales demandes de la Russie. »