Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
REVUE DES DEUX MONDES.

En attendant, nous ne pouvons qu’applaudir à l’attitude tout amicale qu’a prise notre gouvernement à l’égard de la Suisse. Son exemple et ses paroles ont été d’une heureuse influence sur l’Autriche. La Suisse n’a pas été troublée dans le libre exercice de sa souveraineté. C’est à elle maintenant de montrer à l’Europe qu’elle sait user de son droit comme il appartient à un peuple libre, sensé, raisonnable. La Suisse a le droit d’être traitée en état indépendant et souverain. L’Europe, à son tour, a le droit de ne pas être inquiétée par la Suisse. Un état qui jouit du beau privilége de la neutralité, a plus que tout autre l’obligation de prévenir chez lui tout ce qui pourrait devenir pour ses voisins un juste sujet d’inquiétude et d’alarmes.

Les conjectures que nous avions faites il y a un mois, paraissent en effet se réaliser. Il paraît positif aujourd’hui qu’un traité à cinq est sur le point d’être signé, traité qui aurait pour but d’établir comme un point de droit public européen la fermeture des Dardanelles pour les vaisseaux de guerre de toutes les puissances indistinctement. Ce serait le statu quo, confirmé par un traité qui anéantirait formellement, et par la signature même de la Russie, le traité d’Unkiar-Skelessi. Toujours est-il que le traité d’Unkiar-Skelessi expirera de lui-même, à moins qu’il ne soit renouvelé. La nécessité de la nouvelle convention ne paraît donc pas bien démontrée, et elle semble n’avoir d’autre but réel que de faire reparaître, dans les actes diplomatiques de l’Europe, la signature de la France.

Il est également vrai que notre signature n’est pas encore donnée. On veut du moins obtenir au préalable que le droit héréditaire de Méhémet-Ali soit formellement reconnu par la Porte. Est-ce assez pour donner notre signature ? Nous persistons à en douter, s’il est vrai que le traité ne renferme que la disposition relative à la clôture des Dardanelles.

P. S. La chambre des pairs a noblement répondu à l’attente du pays. L’amendement de la commission vient d’être rejeté par une imposante majorité. Sur 239 votans, il n’a réuni que 91 suffrages. Il est probable que, parmi les pairs qui l’ont repoussé, il en est quelques-uns qui, ne voulant pas de fortifications, rejetteront également la loi. Malgré cela, le sort du projet paraît assuré. Honneur à la chambre des pairs ! C’est en vain qu’aujourd’hui encore on a essayé d’exciter ses susceptibilités politiques. Fidèle à sa haute mission, fidèle à ses précédens, elle n’a vu que l’intérêt du pays, que l’avenir de la France.



V. de Mars.