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REVUE. — CHRONIQUE.

cents millions, répartis sur six années. A-t-on oublié ce qu’on a donné à l’étranger ? Était-ce cent, deux cents, trois cents millions ? Qu’on s’applique à bien calculer. On trouvera bien plus de deux milliards. La patrie vous demande aujourd’hui une fois pour toutes, non cette somme énorme, mais l’intérêt d’une année, et vous nous parlez d’économie !

Mais que dire ensuite de ceux qui ne repoussent pas les fortifications, mais seulement l’enceinte bastionnée, de ceux qui tiennent à substituer à une enceinte sérieuse un mur de couvent, bon tout au plus pour protéger la chasteté des Parisiennes contre les atteintes des Lovelaces de la banlieue ? Quelle serait dans ce cas l’économie ? On l’a démontré pièces en main ; on a été forcé de le reconnaître ; elle se réduirait à une économie de seize millions. La France épargnerait seize millions à condition de ne pas exécuter une grande mesure de défense nationale !

L’enceinte bastionnée ! En prêtant notre attention aux discussions des maîtres de l’art, discussions, au surplus, dont le lecteur est désormais aussi fatigué que nous, nous nous sommes dit plus d’une fois : On retrouve donc, même en matière de fortifications, cette éternelle antithèse de l’idéal et du positif, de l’ingénieux et du solide, de l’esprit et du bon sens. C’est le bon sens qui nous dit : Avez-vous des voisins suspects ? faites provision de bonnes armes, et renfermez-vous, non avec des portes vitrées, mais avec de bonnes portes en chêne ; et si vous pouvez placer au dehors de la maison, aux quatre coins, des dogues aguerris et vigilans, vous n’en serez que plus tranquilles. Ce sont là les forts extérieurs et l’enceinte bastionnée. Tout le reste, c’est de l’esprit, de la singularité, des combinaisons plus ou moins ingénieuses, plus ou moins dangereuses, qui supposent pour réussir des armées rapprochées et disponibles, un grand capitaine, que sais-je ? des combinaisons qui, en dernier résultat et sans doute contre l’intention de leurs auteurs, nous ramèneraient, en cas de revers, l’étranger dans Paris, et avec l’étranger la contre-révolution, c’est-à-dire des hommes et des choses que nous ne voulons pas. Est-ce clair ?

Disons le vrai : la question est posée nettement aujourd’hui entre ceux qui veulent que Paris puisse se défendre, et ceux qui, par une raison quelconque, ne le veulent pas. L’enceinte continue est le moyen de défense par excellence ; c’est l’enceinte continue qui seule peut faire de notre admirable garde nationale une armée se battant vaillamment dans ses foyers et pour ses foyers ; c’est l’enceinte continue qui seule peut donner à nos armées régulières le temps de se rallier, de manœuvrer avec liberté, les moyens de ne pas sacrifier la France entière à la défense de la capitale, de ne pas jouer l’empire sur un coup de dés. On n’en veut pas ? On ne veut donc pas que Paris se défende, on ne veut pas qu’il fasse un grand effort pour le salut de la patrie, et puis, on dira que c’est nous qui concentrons tout l’intérêt français dans Paris !

Sans l’enceinte bastionnée, l’ennemi n’a qu’à faire un sacrifice pour passer entre les forts, et il est maître de Paris, de Paris rendu à discrétion, de Paris ne pouvant pas même, par une capitulation sérieuse, protéger les choses et les personnes !