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Cannes ne fût venu apaiser les colères et clore tant bien que mal le protocole de Vienne. Qu’une puissance se croie menacée par notre industrie, et une autre par nos institutions, qu’une troisième soit secrètement agitée par la soif des conquêtes et le besoin d’expansion, qu’une quatrième se laisse séduire par de brillantes espérances et de grands souvenirs, et vous aurez avec des intérêts divers des coalitions fort compactes.

Il est, nous en tombons d’accord, une sagesse qui les prévient, sagesse dont on a encore porté quelques méchans échantillons à la tribune de la pairie ; c’est la sagesse qui consiste à reconnaître que dans nos démêlés avec l’étranger, c’est toujours la France qui a tort, c’est l’étranger qui a raison. Le traité du 15 juillet ! Mais c’était à merveille, pour notre bien ; pourquoi ne pas y adhérer ? Réellement, le gouvernement s’est oublié en n’envoyant pas un ambassadeur extraordinaire remercier la reine Victoria de la bonté avec laquelle elle a bien voulu arranger les affaires de la Syrie, et nous épargner tout souci à cet égard. Si jamais le cabinet prenait cette résolution, nous lui indiquerions volontiers des candidats pour cette grande mission nationale.

Il est certain que le moyen de ne jamais être repoussé, c’est de reculer toujours. Notre industrie vous déplaît ? Nous allons lui couper les ailes. Notre Alsace vous inquiète ? Prenez-la. La Lorraine aussi ? Soit. Notre marine vous alarme ? Nous allons dépecer nos vaisseaux, briser nos machines à vapeur. Est-il rien de comparable à la paix, à la tranquillité ? Rien de plus fatigant, de plus absurde, de plus contraire à la philantropie, à la civilisation, au progrès moral, aux vertus chrétiennes, que des idées de grandeur, de puissance, de force ! Fi donc ! la force c’est bon pour les peuples barbares ; mais nous ! quel besoin avons-nous de force ? N’avons-nous pas les homélies de nos philantropes ?

Au surplus, empressons-nous de reconnaître que la politique niaise n’est pas celle du principal orateur de l’opposition. Tout en soutenant qu’à moins d’une explosion révolutionnaire de la France, les coalitions lui paraissaient désormais impossibles, il s’est écrié, en répondant à ceux qui faisaient remarquer combien Paris se trouve rapproché des frontières, qu’un moyen de l’en écarter, c’était de reprendre notre frontière du Rhin. Apparemment, il ne voit pas là une explosion révolutionnaire. Mais croit-il sérieusement que cette tentative n’enfanterait pas une nouvelle coalition ? Il peut donc y avoir coalition sans révolution, sans propagande, même en faisant la guerre à la façon de Louis XIV, même en se faisant précéder d’un autre drapeau que notre glorieux et immortel drapeau tricolore.

Encore une fois, il n’est qu’un moyen de prévenir les coalitions, c’est de toujours céder, de se résigner à tout, même à l’abaissement du pays et au déshonneur de la France. Or, c’est là ce qu’en réalité nul ne voudrait, moins que personne l’habile orateur auquel nous faisons allusion.

Le dernier argument, l’argument d’économie, est certes le moins sérieux de tous. Si la mesure est bonne en soi, elle est tellement bonne, qu’il est parfaitement ridicule d’argumenter contre elle de la dépense de cent ou deux