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REVUE. — CHRONIQUE.

Tout a été dit sur cette grande question par le premier des orateurs inscrits en faveur du projet.

Une coalition est toujours possible, car la France, Dieu merci, ne cessera pas d’être grande, forte, redoutable, un foyer brillant de civilisation et de lumière, une école pratique de ces grands principes sociaux et politiques qu’elle a laborieusement préparés et vaillamment conquis par deux révolutions et par une lutte de cinquante ans ; bref, la France ne cessera pas d’être, aux yeux des peuples, digne d’admiration et d’envie ; elle ne cessera pas d’attirer sur elle les regards soupçonneux, cupides, jaloux, des gouvernemens qui redoutent notre industrie et nos idées, notre puissance et notre prospérité.

« Soyons sages. » Grand Dieu ! nous sommes sages, très sages, éminemment sages. Ce n’est pas à nous qu’il faut prêcher la sagesse, c’est à nos voisins. Ce n’est pas nous qui tirons le canon en Orient au risque de mettre le monde en conflagration ; ce n’est pas nous qui entretenons à Constantinople un boute-feu, une sorte de maniaque, conspirant jour et nuit contre la paix du monde ; ce n’est pas nous qui signons, ainsi que l’ont fait la Prusse et l’Autriche au 15 juillet, un traité aventureux, et cela, sans autre vue, sans autre intérêt que celui de jouer le rôle de coalisés, et de se traîner à la remorque de l’Angleterre et de la Russie dans une route où la France n’était pas. Les coalitions sont impossibles ! — Il s’en est fait une hier, des plus déraisonnables, des plus contraires aux vrais intérêts de la moitié au moins des coalisés. Si la France eût été quelque peu moins prudente, quelque peu moins résignée, si elle eût voulu soutenir que nul n’avait le droit d’aller sans elle régenter l’Orient à coups de canon, il eût été fort possible que le gant fût de nouveau jeté entre l’Europe et nous, et qu’une guerre de coalition ensanglantât le monde au moment même où l’on nous prouvait fort habilement que les coalitions sont désormais impossibles.

Au surplus, avec les mêmes argumens qu’on a employés pour prouver qu’elles sont impossibles dans l’avenir, nous pourrions nous engager à prouver qu’elles ont été impossibles dans le passé, et qu’en conséquence tout ce qu’on nous raconte des grandes guerres de Louis XIV, de la république et de l’empire, n’est qu’un tissu de fables. Nous prouverions facilement qu’il faut écrire l’histoire moderne comme Lesvêque écrivait l’histoire romaine. « Cela paraît absurde, incroyable ; donc cela n’a jamais eu de réalité. » Les coalitions sont impossibles dit-on, parce que les intérêts des nations sont divers, qu’elles ne pourront jamais être dirigées par les mêmes vues, dominées par les mêmes principes. Voilà certes une donnée irrécusable. Mais ces intérêts ont-ils jamais été semblables, et les vues des puissances uniformes, et leurs principes identiques ? Jamais. Cela est trop connu, trop vulgaire pour que nous y insistions. Qu’est-ce à dire ? Il n’y a donc jamais eu de coalitions !

Les coalitions se forment, l’histoire nous l’apprend, avec des vues diverses et des intérêts divergens. Elles se forment vives, actives, ardentes, sauf ensuite à partager le butin, s’il le faut, à coups de canon, ainsi qu’il serait arrivé en 1815 au sujet de la Pologne et de la Saxe, si le débarquement à