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pas recueillir la succession d’un mort, mais prendre la place d’un vivant. Il était séduisant de pouvoir dire de prime-abord : Entre nos prédécesseurs et nous, il y a déjà une première économie de 150 millions.

Croyez-vous que cette tentation ne se soit jamais présentée à l’esprit de messieurs les ministres ? Non, leur mérite n’est point de ne pas l’avoir éprouvée mais d’y avoir résisté ; ce n’est pas d’avoir fait une chose agréable à M. Tiers mais d’avoir préféré à un échec politique de M. Thiers une chose utile au pays, d’avoir voulu une grande mesure nationale, quand même l’initiative et le commencement d’exécution appartenaient au cabinet du 1er mars. À lui cet honneur, à lui ce courage. Mais ce n’est pas un moindre honneur d’avoir surmonté toute répugnance politique, ce n’est pas un moindre courage d’avoir hautement fait sienne la pensée de l’administration qu’on remplaçait, d’avoir livré bataille sur ce terrain à ses propres amis, essuyé leur colère, et résisté à leurs attaques en empruntant des combattans et des armes dans les rangs de ses adversaires politiques.

La preuve que la mesure est excellente, c’est que M. Thiers et M. Guizot l’ont également voulue, qu’ils l’ont, l’un et l’autre, défendue sans restriction, avec la même énergie et la même persévérance ; que, venant de côtés différens, n’arborant plus le même drapeau, ils se sont rencontrés et donné la main malgré eux sur ce terrain. Ce n’est donc pas un terrain arbitrairement choisi. C’est la vérité, c’est la force des choses qui les y ont amenés, non parce que mais quoique.

Au surplus, il s’est trouvé à la chambre des pairs plusieurs orateurs qui, sans appartenir aux opinions du 1er mars, ont cependant rendu hautement justice au courage politique de ce cabinet ; courage, il est juste de le reconnaître, auquel nous devons en grande partie les fortifications de la capitale.

On a dit que c’est toujours dans les momens de crise que le projet de fortifier Paris avait été reproduit, mais qu’une fois le danger disparu, tout avait été suspendu et abandonné. Je le crois bien. C’est la nature humaine, c’est un des mauvais côtés de la nature humaine. Passato il pericolo, gabbato il santo. Est-ce à dire qu’il faille se faire de cette déplorable insouciance un argument contre l’utilité d’une grande mesure de précaution ? Là est précisément l’honneur, le mérite du cabinet du 1er mars. C’est d’avoir saisi un moment de crise, un soulèvement de l’opinion publique, non pour disserter, mais pour décider, et mieux encore, pour faire ce qui aurait dû exister depuis vingt ans.

Quant à la question des coalitions, empressons-nous de reconnaître que ceux des orateurs qui l’ont traitée ex professo ont seuls pénétré jusqu’au fond même du sujet qui était en discussion. Qui ne sait qu’une coalition, qu’une puissante coalition pourrait seule, par les vicissitudes et la guerre, pousser une grande armée jusqu’aux environs de Paris ? Ainsi, soutenir qu’aujourd’hui une coalition contre nous est impossible, c’était, qu’on nous passe l’expression, prendre le taureau par les cornes et vouloir le renverser d’un seul coup. La tentative était franche et noble. Pouvait-elle être accomplie ?