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REVUE. — CHRONIQUE.

1er mars ; car, si cela était, il faudrait en conclure que ce ministère a toujours la majorité, et une forte majorité dans la chambre des députés, et probablement il faudrait aussi en conclure demain que la majorité ne lui manque pas non plus à la chambre des pairs. Cependant, que diraient ces mêmes orateurs, si la loi étant adoptée, on songeait à réaliser cette conséquence, et à rappeler aux affaires le 1er mars ? Ils seraient les premiers à s’écrier que ce n’est pas là le sens du vote des chambres, que c’est au 29 octobre que la loi a été accordée, que c’est à son influence qu’est due la majorité acquise au projet. E sempre bene.

Un orateur ingénieux a été jusqu’à dire que le ministère n’a présenté le projet de loi que dans le but de justifier et de mettre à l’abri de toutes attaques le cabinet du 1er mars. Oh prodige ! qui se serait douté de tant de vertu chrétienne dans l’ame de messieurs les ministres ? Vous représentez-vous M. le maréchal Soult et M. Guizot venant, sans conviction, demander à la France de dépenser 150 millions, et si on en croit les opposans, 500 ou 600 millions, et cela, pour épargner à M. Thiers et à M. Cubières quelque petit chagrin, pour que personne ne puisse les critiquer, les chicaner, les accuser d’avoir commis une faute, et commencé une folie !

Il faut pourtant le dire : cela n’est pas sérieux. Il n’y a de sérieux, il n’y a de vrai que la conséquence directement contraire à celle qu’on a voulu tirer de ces faits. La pensée première appartient au 1er mars ; il avait même mis la main à l’œuvre. Sans crédit ouvert, avant de convoquer les chambres, il avait franchement engagé sa responsabilité. Le 1er mars se retire ; le 29 octobre le remplace, en professant une autre politique, en blâmant, à tort ou à raison, sur plusieurs points, la politique de ses prédécesseurs ; des explications vives, aigres, pénibles, agitent pendant plusieurs jours la tribune nationale, lors de la discussion de l’adresse, et cependant le nouveau ministère accepte le fait des fortifications ; il en accepte le système ; il le fait sien ; il le présente aux chambres ; il le défend avec énergie, avec talent, avec insistance ; que faut-il en conclure, lorsqu’au lieu de faire de l’esprit, on veut bien se contenter du bon sens ? Que de tous les projets présentés par le 29 octobre, il n’en est pas un seul qui soit plus que le projet des fortifications l’expression d’une conviction irrésistible, d’une persuasion qui domine toutes les questions politiques, toutes les faiblesses de l’humanité. À qui fera-t-on croire que le cabinet du 29 octobre n’eût pas été heureux de pouvoir dire au pays : M. Thiers voulait une garantie contre des craintes chimériques ; il voulait, par un caprice militaire, dilapider nos finances, faire reculer notre industrie, paralyser notre prospérité ; il a abusé du pouvoir ministériel, puisé sans nécessité et sans crédits législatifs dans le trésor public ; nous ne pouvons pas couvrir ces actes, assumer cette responsabilité ; notre politique n’est pas la sienne ; les chambres jugeront entre nous. Ce ne sont pas des murailles dont notre courage et notre politique n’ont que faire, ce sont des chemins de fer, des quais, des ponts, des bateaux à vapeur que nous nous proposons de donner à la France. Certes, il y aurait eu là de quoi tenter un cabinet nouveau, qui ne venait