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LE SALON.

parure éclatante, qui nous fait distinguer de loin au milieu de la société européenne.

N’abdiquons pas cette puissance comme nous avons fait tant d’autres. Ce n’est peut-être qu’une couronne de bois doré, mais elle est partout obéie et enviée. N’oublions pas qu’au milieu de l’immense mouvement d’activité matérielle qui entraîne et domine le monde, la France seule, fidèle à sa mission sociale, soutient et cultive ces douces et nobles fleurs de l’esprit et du goût sur lesquelles une civilisation sauvage semble vouloir faire passer sa charrue. Sans doute son sceptre politique, le sceptre de Louis XIV, de la république et de Napoléon, n’est pas brisé, comme de sinistres prophéties l’annoncent ; mais, s’il était dans ses destinées de succomber, elle tomberait comme sont tombés les deux plus grands peuples de l’antiquité, comme Rome et la Grèce, en laissant aux vaincus, comme dernier joug, ses codes, ses arts et son esprit.

Adoptons donc sous quelque forme qu’elle se produise, et même sous celle des salons, cette royauté de l’intelligence. Ne déclamons pas contre ces inutilités, car c’est précisément dans le goût et le besoin de l’inutile qu’est la noblesse et la distinction de l’espèce humaine. Agrandissons notre pouvoir matériel sur la nature, mais en exploitant ce monde physique ne perdons pas de vue le monde moral, dont la culture donne des produits bien plus précieux et plus relevés, et qui surpasse infiniment l’autre en dignité et en beauté. L’art est une des plus nobles parties de ce monde. Il peut s’affaiblir et décroître par suite d’une loi supérieure et universelle ; mais la décadence n’est pas la mort. L’art est éternel comme les facultés même dont il dérive. S’il n’atteint son summum de grandeur, d’autorité et d’excellence que dans quelques rares momens et sous certaines conditions sociales et religieuses, il ne dépend pas absolument de ces conditions. Avant d’être héroïque et démocratique, l’art est humain. Il est un mode essentiel de toute action humaine. Dans tout ce que fait l’homme, il y a nécessairement de l’art. Le vrai caractère spécifique de l’homme, le signe distinctif et infaillible qui le sépare de la bête, que les naturalistes cherchent encore si inutilement dans la forme de ses dents et dans la disposition de son pouce, c’est l’art. En effet les produits de l’industrie animale sont absolument dénués de toute signification esthétique. Tout y est exclusivement subordonné à leur usage comme moyen de satisfaction d’un besoin matériel ; ils sont partout et toujours adéquatement proportionnés au but à atteindre, et ce but est uniquement dirigé vers la stricte utilité. Ils