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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

représentation à la régence pour lui demander de ne pas exiger l’exécution de ce décret. Et veut-on savoir dans quelles circonstances cette représentation a été décidée ? Voici le fait, et il est curieux. Un attroupement considérable était réuni en plein jour sur la place de l’église Notre-Dame des Abandonnés. Un homme en est sorti, portant une chaise sur laquelle il est monté, et il a affiché publiquement sur la façade de l’église le placard suivant : « Ordre du peuple à tous les habitans de cette ville et à ceux du dehors, aux nationaux de la banlieue et aux compatriotes. Il est défendu, sous peine de mort, de remettre à quelque autorité que ce soit ni argent, ni papier destiné à payer des contributions. Compagnons, nous n’avons rien à craindre ; le peuple est libre ! Nous devons tous mourir pour la liberté ! Tirez l’épée contre quiconque voudrait interrompre notre marche ; ne nous laissons plus gouverner sous le nom menteur de nationalité. Vive la république ! meurent la régence et tous les fonctionnaires publics ! Celui qui arrachera ce placard sera assassiné. Compagnons ! révolution ! » Signé, Un Patriote, et pour insignes, deux têtes de mort.

Le lendemain, au départ du courrier, ce placard n’avait pas encore été arraché. Il y est peut-être encore. Est-ce là un état régulier ? Et que fait l’armée, puisqu’elle ne réprime pas de pareilles scènes ?

La situation des finances est ce qu’elle doit être au milieu de tout ce désordre. Beaucoup de contribuables exécutent les injonctions du placard de Valence, et refusent de payer les impôts. La contrebande anglaise est organisée sur une échelle si gigantesque, que le gouvernement s’est cru forcé de prendre des mesures contre elle à Xérès ; mais la population a pris les armes, et le gouvernement a cédé. Il n’y a en ce moment d’employés payés dans toute la Péninsule, que ceux qui se paient de leurs propres mains, sur le peu de taxes qu’ils perçoivent ; l’armée elle-même commence à manquer de tout. Pendant quelque temps, les troupes ont assuré leur solde en s’emparant, par la force, des caisses publiques ; mais cette ressource est épuisée : les caisses sont vides. Dans plusieurs régimens, les officiers sont obligés, pour ne pas mourir de faim, de manger à la gamelle, et quelquefois de prendre les rations des soldats, qui se tirent alors d’affaire comme ils peuvent. Le ministre des finances, M. Gamboa, a donné sa démission de découragement ; son successeur provisoire, M. Ferrer, vient de convoquer une réunion de capitalistes pour leur demander à emprunter huit à dix millions, en anticipant les revenus de l’île de Cuba ; il n’a encore rien obtenu.