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nature des sentimens que doit exciter la situation du duc de la Victoire, s’il présentait quelques garanties sérieuses pour faire un jour le bien de l’Espagne ; mais, de bonne foi, peut-on conserver encore la moindre illusion sur ce point ? Une usurpation comme la sienne ne peut être excusée que lorsqu’elle est suivie de grands services rendus à l’état. Bonaparte et Cromwell, ses deux modèles, ont marqué les premiers jours de leur règne par de grandes choses. Lui, depuis six mois entiers qu’il est investi de la dictature, qu’a-t-il fait ? Rien, absolument rien. Au contraire, l’état de l’Espagne est dix fois pire aujourd’hui qu’au mois de septembre dernier, tandis qu’il a suffi de moins de temps au premier consul pour rétablir l’ordre au dedans et fonder la grandeur de la France au dehors.

Espartero n’a eu qu’une pensée depuis qu’il est le maître, c’est la conservation d’un état militaire écrasant et inutile. Tant que la guerre civile a duré, on conçoit que l’Espagne se soit épuisée pour entretenir son armée sur un pied formidable, quoique ce soit encore beaucoup que deux cent mille hommes pour arriver à signer la convention de Bergara et pour bloquer un an entier les misérables forteresses de Cabrera. Mais depuis qu’il n’y a plus de combats à soutenir, à quoi bon ce chiffre énorme de troupes, le plus considérable sans comparaison que l’Espagne ait jamais eu ? Si le généralissime avait mis à exécution les projets de conquête qu’il a eus successivement sur le Roussillon et sur le Portugal, passe encore ; mais cette puissante armée ne sert absolument qu’à garder la personne de son chef, et elle absorbe bien au-delà de tous les revenus publics. Une nation a pourtant autre chose à faire que de cultiver les lauriers d’un général heureux.

Toutes ces forces font-elles au moins respecter la propriété, l’ordre public, la sécurité des personnes ? Pas le moins du monde. Nous avons déjà dit dans quel état l’Espagne se trouvait sous ce rapport. Le tableau que nous en avons donné est toujours vrai et se charge de jour en jour de nouvelles ombres. Dès bandes carlistes ont recommencé à paraître dans le Maestrazgo et sur d’autres points. Les vols à main armée et les déprédations de toute sorte se multiplient dans les provinces d’une manière effrayante. À Carthagène, la populace a donné un charivari à l’alcade et a cassé ses vitres ; la troupe n’a pas bougé. À Valence, la multitude s’est opposée à l’exécution d’un décret de la régence portant que tout habitant fournirait un état exact de sa fortune. L’ayuntamiento a adressé immédiatement une