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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique ;
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de long-temps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or c’était un soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première,
Qui de le voir s’aventurant
Osa bien quitter sa tanière ;
Elle approcha, mais en tremblant ;
Une autre la suivit, une autre en fit autant ;
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière,
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi ;
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.

Nous savons qu’il ne faut pas s’y fier. Le soliveau pourrait bien remuer au moment où l’on y pensera le moins, et dans ce cas bien des grenouilles prendraient la fuite, au moins pour quelque temps. Dans un des derniers conseils des ministres, M. Cortina, ministre de l’intérieur, et M. Gomez Becerra, ministre de la justice, discutaient très vivement sur la question de la régence. Le premier se déclarait pour la régence d’un seul, le second pour le principe de la régence à trois. Espartero les interrompit, dit-on, pour leur dire d’un ton fort net que toutes ces querelles étaient oiseuses, et qu’il lui importait peu d’être seul ou en tiers dans la régence, ou même de n’y être pas du tout. Cette déclaration sent un peu son César, elle montre qu’Espartero a par momens la tentation de se mettre au-dessus des lois ; mais une disposition si vigoureuse dure peu, et il y a déjà bien du temps perdu. En se laissant discuter, le duc de la Victoire se laisse enlever pièce à pièce sa force morale.

On sait d’ailleurs comment procèdent les révolutionnaires. Si Madrid est trop bien gardé pour qu’ils y puissent tenter quelque coup, ils provoquent des juntes dans les provinces, et ne soulèvent la capitale que quand tout le pays est soulevé autour d’eux. Déjà quelques symptômes d’une insurrection prochaine se font sentir sur quelques points. Si Espartero se borne à attendre, s’il ne prend pas l’initiative, il court grand risque d’être prévenu.