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comte-duc. Mais qui sait ? Il y a peut-être plus de vrai dans tout ce jeu qu’on ne croit. Il faut rendre cette justice au duc de la Victoire, que ce n’est pas lui qui a provoqué la crise. Son ambition se contentait parfaitement de la position molle qu’il s’était faite. Il lui importait peu d’exercer le pouvoir réel, pourvu qu’on lui laissât la supériorité nominale. Il a fait tout ce que les exaltés ont voulu ; pourquoi le poursuivent-ils encore de leurs exigences ?

Malheureusement, il lui devient de jour en jour plus impossible de rester dans ce pompeux repos qu’il affectionne. Il faut absolument qu’il monte ou qu’il descende ; il n’y a pas de milieu. Les exaltés ne s’accommodent plus de ce dictateur fainéant qui les alourdit du poids de sa gloire. Ils veulent marcher enfin, faire un pas de plus, au risque de laisser derrière eux le char de triomphe qu’ils ont traîné jusqu’ici et qui les lasse par sa majestueuse lenteur. Espartero comprend le danger qui le menace, et ne sait comment échapper. C’est ce qui lui fait dire à tout moment qu’il est prêt à quitter les affaires, et nous le croyons de bonne foi quand il le dit ; mais il ne tarde pas à voir que toute retraite est impossible à qui est monté si haut, et alors il se jette dans les propos les plus contradictoires. Tantôt il déclare hautement qu’il veut la régence unique et qu’il l’aura ; tantôt il dit qu’il n’aspire nullement à être régent, pourvu qu’on lui laisse le commandement de l’armée ; tantôt, enfin, il se montre prêt à transiger et à accepter la régence triple, pourvu qu’on lui donne des collègues de son choix.

Il n’y a pas moyen pour lui de se faire illusion sur le but qu’on se propose d’atteindre en posant le principe d’une triple régence. Une régence à trois, dans un pays constitutionnel, est une absurdité politique. Il tombe sous le sens que l’exercice de l’autorité royale doit être un comme cette autorité elle-même. Triple ou unique, la régence ne gouvernera que par l’intermédiaire de ministres responsables ; il est donc complètement inutile que son pouvoir soit partagé. Donner deux collègues à Espartero, c’est tout simplement s’assurer deux voix contre une et le constituer en minorité dans le gouvernement, jusqu’à ce qu’on se croie assez fort pour l’en exclure tout à fait. Il peut pas y avoir d’autre motif réel pour cette bizarre invention d’une triple régence. Cependant le choix des personnes qu’on a d’abord voulu faire entrer dans la régence était plus significatif encore, et il est possible au duc de se rattacher à l’exclusion de ces choix pour se donner un petit avantage apparent. L’un était Arguelles, le vieillard divin, le représentant obstiné des idées de 1812,