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déclaré, comme de juste, pour les trois régens ; il appelle les partisans de la régence d’un seul les unitaires. À leur tour, les modérés spectateurs ironiques de ce débat, appellent trinitaires les partisans de la régence triple. De là des plaisanteries sans fin sur ce nom de trinitaires, qui est, comme on sait, celui d’un ordre monastique. Les progressistes, si ennemis des communautés religieuses, prennent, dit-on, les mœurs et jusqu’au nom des moines qu’ils ont chassés ; le temps des nouveaux frères, frailes, est arrivé, et on se donne à l’abri de cette comparaison pleine licence sur les membres des sociétés secrètes, sur le père Arguelles, le frère Espartero, etc. La fameuse division de chaussés et de déchaussés, empruntée elle-même aux ordres religieux, s’applique merveilleusement à cette nouvelle qualification des progressistes, et donne lieu à toute sorte de quolibets fort plaisans en Espagne, où la langue est pleine de locutions tirées des habitudes de la vie monastique, et où les jeux de mots populaires contre les frailes, contre leurs vices, leur gourmandise, leur orgueil, etc., forment de temps immémorial le fonds de la gaieté nationale.

Le même Eco del Comercio donne dans un de ses derniers numéros les raisons les plus amusantes du monde contre la régence unique d’Espartero. « Ce fut, dit ce journal, un hasard très heureux pour le duc de la Victoire que d’être nommé président du conseil sans ministère déterminé. Si malgré cette situation une si forte animosité s’est déclarée contre lui, que serait-ce s’il avait pris à sa charge une branche quelconque du gouvernement, ce qui l’eût forcé de donner et de retirer des emplois, de décider des questions auxquelles des tiers sont intéressés, de prendre en son nom personnel ces résolutions sur des réformes, des économies, qui ne peuvent manquer de faire des centaines et des milliers de mécontens ? Que le général voie ce qu’on a dit et ce qu’on dit tous les jours de ses collègues à propos de chaque ordre qu’ils donnent, de chaque nomination qu’ils font, et il comprendra ce que c’est que de servir de point de mire à l’opposition juste ou injuste. S’il était régent unique, les ministres trouveraient commode de rejeter toutes leurs erreurs sur la volonté du régent, et il assumerait tout entière sur sa tête l’immense responsabilité morale de l’usage si délicat du pouvoir exécutif, dans le cas par exemple où il croirait devoir résister au vœu des cortès, les suspendre, les dissoudre même, prendre enfin les mesures que pourrait exiger la gravité des circonstances. Si au contraire il y a trois régens, et que les deux autres soient des hommes expérimentés,