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LA HOLLANDE.

mure, croira toujours entendre, dans le soupir du vent, dans le choc de tes flots, une voix mystérieuse qui l’attire et lui parle des pays lointains.

Quand j’arrivai dans la maison de M. E…, qui m’avait invité à passer la soirée chez lui, la table était mise, l’eau bouillonnante sifflait dans la théière, et la servante achevait de l’entourer de tartines de beurre, de tranches de bœuf fumé, de harengs et de fromage, c’est-à-dire de tous les élémens d’un très comfortable souper hollandais. M. E… me prit par la main en me reprochant doucement d’arriver si tard, puis me présenta à sa femme, à ses filles et à un négociant de ses amis qui avait déjà fait plusieurs fois le voyage des Indes. Entre les personnes réunies chez M. E…, il n’y avait qu’une légère différence d’âge, mais cette différence représentait un siècle pour l’intelligence. La maîtresse de la maison, née en Frise, portait encore la riche et ambitieuse coiffure de sa province, les deux lames d’or sur les tempes, le diadème en brillans sur le front. Elle ne parlait que le hollandais, et ce qu’elle eût bien préféré encore, c’eût été de parler le dialecte de sa province, de sa chère province qu’elle n’avait quittée qu’une fois pour faire un voyage à Amsterdam, et plus tard pour venir au Helder. Les deux jeunes filles au contraire, douces et naïves créatures à l’œil bleu, au visage, candide, portaient, selon, le dernier numéro du Journal des Modes, les cheveux en bandeau et les manches plates. Elles gazouillaient avec un embarras ingénu quelques mots de français, lisaient, sans le secours d’aucune traduction, Jocelyn et les Orientales, et parlaient du plaisir qu’elles auraient à venir à Paris, pour parcourir les boulevarts, disait l’une, pour aller au spectacle, disait l’autre, et pour assister aux séances de la chambre des députés, ajoutait le père. C’était un homme modeste et instruit qui avait voyagé, étudié, et qui s’intéressait à la fois aux grandes questions d’art, de politique, de science et d’industrie. Il faisait, par sa causerie instructive et variée, un singulier contraste avec son ami, qui aurait fort aimé qu’on ne dît rien ou qu’on jetât de temps à autre, entre deux bouffées de tabac, un mot sur le prix des denrées coloniales. Mais, telle qu’elle était, avec ses différences de goût et de caractère, cette petite réunion me plaisait beaucoup par son air de franchise et de simplicité, et j’étais d’ailleurs reconnaissant de la cordialité avec laquelle on me recevait dans une maison où j’entrais pour la première fois. M. E… me serrait les mains et me remerciait d’être venu. Sa femme, dans un excès de politesse qui pouvait devenir embarrassant s’il avait con-