prit la parole et dit : Voilà une histoire qui prouve bien que les Hollandais ne sont pas, comme certains voyageurs mal avisés se plaisent à les représenter, des êtres absorbés par la matière ; moi j’en sais une encore… Mais voilà que nous arrivons à Niewdiep. — En disant ces mots, il se leva, nous fit un léger salut et sortit. Une jeune femme l’attendait sur le quai, et se jeta dans ses bras avec une joie touchante ; deux petits enfans aux joues rondes et roses comme des pommes de Normandie se suspendirent à sa redingote : l’heureux voyageur s’éloigna avec son doux fardeau. C’était peut-être là l’histoire qu’il voulait nous raconter.
J’avais quitté en même temps que lui notre roem enfumé, et je regardais avec surprise le tableau qui se déroulait à mes yeux. À la place des plaines marécageuses, des landes arides, des cabanes isolées, dont l’aspect monotone fatigue les yeux, à partir d’Alkmaar, tout à coup j’aperçois de larges et beaux édifices, des magasins de marine et une population animée. J’entends l’officier qui commande une manœuvre sur une frégate, les matelots qui hèlent les cordages, le tambour militaire qui bat dans les rues, et le clairon qui sonne à la porte d’une caserne. Des bâtimens de commerce entrent dans le port, des barques glissent le long des canaux, des portefaix s’en vont le dos courbé sous des sacs de riz ou de café. Nous sommes dans l’entrepôt de la mer du Nord, dans l’un des ports militaires de la Hollande.
Il y a quarante ans qu’à la place de ces édifices, de ces chantiers, on ne voyait encore qu’une pauvre maison de paysan. La création du canal du Nord a fait en peu de temps une ville animée d’une plaine déserte. C’est ici que les navires d’Amsterdam s’arrêtent en revenant des Indes et en y allant ; c’est ici que l’on a entassé tout le matériel et l’armement des bâtimens de guerre. Quand un de ces bâtimens part pour quelque contrée étrangère, il vient prendre à Niewdiep ses canons et ses boulets ; puis, au retour, il quitte son appareil militaire. On lui enlève ses armes, ses munitions, on lui enlève la plus grande partie de ses voiles, quelquefois même ses mâts, et il entre dans les bassins d’Amsterdam comme un pacifique bourgeois incapable d’offenser qui que ce soit. J’ai vu une fois une magnifique frégate suivre ainsi sa route, le pont vide, les écoutilles fermées, les hunes abattues. Hélas ! c’était grande pitié. Vingt-quatre chevaux la traînaient paisiblement le long d’un canal. On eût dit d’un roi vaillant et courageux dépouillé de son armure et enchaîné au paresseux attelage de ces rois fainéans dont parlent nos vieilles chroniques. Comment