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LA HOLLANDE.

toutes les raretés de son magasin. Elle resta un instant debout devant moi, silencieuse et me regardant d’un regard qui m’étonnait et me troublait ; puis elle s’assit à côté de moi, et, me prenant la main : — Comment vous appelez-vous ? me dit-elle. — Charles. — Charles ! s’écria-t-elle ; est-ce vrai ? Oh ! mon Dieu ! quelle singulière chose ! Est-ce que vous vous appelez Charles. Dites, ne me trompez-vous pas ? Mais pourquoi me tromperiez-vous ? quelle méchante idée ! Vous vous appelez donc Charles, Charles ? — Et sa voix était très émue, et son regard pétillait en se fixant sur le mien ; elle s’arrêta un instant et reprit le cours de ses questions : — Quel âge avez-vous ? — Vingt ans. — Vingt ans ! c’est bien cela !… Allons, allons, mais je suis une folle ; que devez-vous penser de moi ? Et pourtant !… Elle s’arrêta encore, mit sa main dans la mienne, et me dit d’une voix affectueuse : — Écoutez, monsieur Charles ; voulez-vous bien faire un grand plaisir à une pauvre solitaire que vous ne connaissez pas ? Voulez-vous venir dîner ici dimanche prochain, et non-seulement ce dimanche-là, mais tous ceux qui suivront, quand vous n’aurez toutefois point d’invitation plus agréable ? Car moi, je ne suis qu’une vieille femme, une marchande de bric-à-brac, et vous êtes un étudiant à l’Université, et vous avez vingt ans ! — Oh ! je viendrai, m’écriai-je avec une assurance subite dont je me sentis étonné ; et rien ne m’empêchera de me rendre à votre invitation. — Eh bien ! merci, merci, me dit-elle ; retournez maintenant dans votre petite chambre, car je sais que vous avez une petite chambre avec toutes sortes de livres très savans, et que vous êtes fort studieux : allez, je vous attends dimanche. — À ces mots, elle me tendit encore la main, puis se retira ; et moi, je sortis en proie à une émotion étrange, ne sachant ce que je devais penser de cette entrevue, de ces paroles affectueuses, de ces regards si vifs, et me réjouissant pourtant de tout cela comme d’un évènement heureux. À quelques pas de distance, je me retournai, et je vis Mme Teederhart qui penchait la tête hors de sa boutique pour me suivre du regard, et je me dis comme elle : quelle singulière chose ! Mais il me semblait que j’avais la conscience soulagée d’un lourd fardeau.

En rentrant dans la maison où je demeurais, je trouvai mes amis assemblés dans le corridor, et causant d’un air de mystère à voix basse. L’un d’eux, m’ayant vu entrer chez la marchande, était venu en toute hâte le raconter aux autres, et là-dessus des commentaires, quels commentaires ! et, lorsque j’arrivai, des plaisanteries, des paroles amères et froissantes. — C’est une folle, me disait l’un ; je le sais