Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
REVUE DES DEUX MONDES.

Cette disparition subite d’une pauvre femme qui paraissait prendre plaisir à me voir, et que je croyais avoir offensée, augmenta mes regrets et mes perplexités. Je m’exagérais tout à la fois, et le sentiment d’intérêt mystérieux que j’avais pu lui inspirer, et la faute commise envers elle ; puis je voyais toujours ce regard si triste et si doux, qu’elle avait laissé tomber sur moi, au moment où mes camarades la tournaient en dérision, et j’éprouvais une tristesse toute nouvelle, une tristesse mêlée de repentir, que j’essayais en vain de surmonter ; et quiconque m’eût vu alors, marchant d’un pas rêveur dans la rue, le front soucieux, l’œil inquiet, m’aurait pris pour quelque amant langoureux. Rien n’est plus uniforme que l’expression de nos émotions : celle du remords est souvent triste comme celle de l’amour, et les soupirs de la douleur ressemblent aux accens de la joie. Enfin, le troisième jour, je revins devant le magasin de Mme Teederhart, et, ne la voyant pas apparaître, je résolus de mettre fin à mon anxiété, d’entrer chez elle, et de lui demander pardon de la scène cruelle qu’elle avait subie malgré moi, et que je me reprochais pourtant comme si j’en avais été coupable. Je m’approche avec une émotion singulière, j’hésite, m’éloigne, je reviens ; j’avais une timidité d’enfant. Je franchis le seuil de la porte, et je m’arrête encore, et je regarde, comme si j’avais peur que des voisins n’observassent sur mon front, dans mes yeux, dans ma démarche, la pensée qui m’agitait, comme si cette pensée si pure et si candide pouvait donner lieu à quelque fâcheuse interprétation. Admirable ingénuité de la jeunesse. J’ai lu depuis quelques romans, et j’ai retrouvé dans le récit et la description d’un sentiment d’amour tout ce que j’éprouvais alors dans l’émotion d’une pensée reconnaissante, craintive, et presque filiale. Au moment où j’étais là, immobile, incertain, ne sachant si je devais faire un pas de plus en avant, ou rétrograder, celle que je cherchais avec tant d’agitation ouvre tout à coup une porte vitrée à travers laquelle elle m’observait, s’avance et me salue avec un doux sourire. — Pardon, madame, lui dis-je, en me sentant rougir et en balbutiant. — Oh ! je sais ce que vous voulez me dire, s’écria-t-elle, en posant sa main sur mon bras pour mieux m’interrompre, j’ai été fort affligée des paroles de vos amis, mais je suis sûre que vous êtes parfaitement innocent de cette grossière et sotte injustice ; j’ai suivi depuis trois jours, sans que vous m’ayez vue, vos mouvemens et votre inquiétude ; je vois que vous êtes bon, et je me réjouis d’une circonstance qui achève de me révéler ce que j’avais déjà pressenti. Asseyez-vous.

Je m’assis sur un vieux fauteuil en chêne sculpté qui était là, entre