Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
REVUE DES DEUX MONDES.

le titre de roem, est la gent aristocratique, qui ne craint pas de payer un tiers de plus et un pourboire. Ici est le gouvernail, le pilote, c’est-à-dire l’ame et l’intelligence du navire ambulant. À l’extrémité du treckschuit est attachée une longue corde tirée par un maigre cheval qui porte sur ses flancs desséchés par la faim et la fatigue un petit bonhomme avec une trompette de fer-blanc en forme de cor de chasse. Il est bien convenu que cette naïve embarcation fera au moins une lieue et demie à l’heure. Elle affligerait profondément les phlegmatiques Hollandais si elle se permettait un tel excès de vitesse. Elle s’arrête donc avec une aimable gravité à toutes les écluses, à tous les ponts, à tous les cabarets élevés prudemment de distance en distance sur la route. À chaque relais, le pilote a quelque grave devoir qui le rappelle dans le monde terrestre. Il fait une enjambée qui le transporte sur le rivage et disparaît. Les voyageurs inquiets de ne pas le voir revenir, s’en vont aux enquêtes. Le premier édifice qui frappe leurs regards est l’auberge du lieu, l’auberge avec ses flacons de genièvre, son enseigne peinte par quelque Téniers moderne, et ses bancs rangés sous la charmille, qui semblent dire aux passans, avec une charité toute chrétienne : Venez, vous qui êtes las, ici est le repos ; entrez, vous qui avez faim et soif, ici est le pain qui nourrit et l’eau qui désaltère. Impossible de résister à une invitation aussi touchante. On entre, on boit sur le comptoir un verre d’eau-de-vie, on échange quelques paroles avec la maîtresse de l’auberge, qui est toujours jeune et blonde avec des yeux bleus et des lèvres roses ; on jette un regard sur les colonnes du journal d’Amsterdam, après quoi le pilote se montre tout à coup, cherchant ses voyageurs, et les engageant doucement à continuer leur route. Il résulte de toutes ces excursions, de toutes ces haltes, qu’en voguant sur le treckschuit on fait un peu moins de chemin en un jour que si l’on cheminait tout simplement à pied. Il en résulte aussi que lorsqu’on en vient, le soir, à établir son budget, il faut l’élargir d’un assez grand nombre de dépenses imprévues. Mais qu’importe, le treckschuit n’en est pas moins un admirable moyen de transport, au dire des Hollandais. J’oubliais d’ajouter, à la gloire de cette précieuse embarcation, que son nom n’est point aussi dur qu’il en a l’air. On prononce trekseut. Heureuse euphonie ! Moi qui ne demandais qu’à connaître les merveilles et les curiosités de la Hollande, après avoir déjà fait connaissance avec le bateau à vapeur de Nimègue, la diligence de Rotterdam, le chemin de fer de Harlem, je me réjouis de voyager avec le treckschuit, et pour le voir sous son plus beau point de vue, je demandai fièrement une place dans le roem.