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LA DIVINE ÉPOPÉE.

rables adjectifs pour atteindre le grandiose et le gigantesque. Le sesquipedalia verba d’Horace semble avoir été inventé tout exprès pour M. Soumet. Le nouveau Gethsemani, que nous avons mentionné au courant de notre analyse, dépasse en ce genre tout ce que l’on peut imaginer ; ce n’est plus ni de l’ivresse ni de l’inspiration, c’est du délire et de la fièvre chaude poétique.

Une malheureuse imitation de l’orientale du Feu du ciel de M. Victor Hugo et de l’orgie babylonienne de la Chute d’un Ange se fait sentir dans les descriptions architecturales qui remplissent l’enfer et la première table d’airain d’Idaméel, et l’on voit que le souvenir des idoles de jaspe à têtes de taureaux a beaucoup préoccupé M. Soumet.

L’ambition effrénée du sujet a fait illusion au poète ; il a cru que l’hyperbole la plus violente était faible en pareille occurrence, et qu’il ne saurait rien inventer qui fût assez bizarre et assez énorme. En quoi il s’est mépris complètement. L’exagération engendre la lassitude ; on est étonné d’abord, mais bientôt tout ce tapage vous abasourdit, et vous êtes obligé de fermer le livre et de reprendre haleine.

Tout ceci n’empêche pas que l’épopée de M. Soumet ne renferme des passages remarquables ; l’auteur de Clytemnestre, d’Une Fête de Néron, et de tant d’autres ouvrages recommandables à plusieurs égards, ne peut faire dix à douze mille vers sans qu’il y en ait quelques-uns de bons ; les treize visions sont des morceaux d’un grand mérite, et le tableau de la coquette brûlée par ses pierreries et contente de son supplice, pourvu qu’elle garde sa beauté, est, à part quelques légères taches, un morceau d’un éclat et d’une élégance peu communes. — L’homme qui monte du fond d’un puits le long d’une chaîne dont chaque anneau représente un de ses crimes, est une invention digne du poète florentin. Le récit de Néron a vraiment la grandeur et la simplicité antiques, et montre tout ce que pourrait faire M. Soumet s’il voulait ne pas se laisser emporter par sa facilité, et s’il purgeait son style de tous ces mots fabriqués et de tous ces néologismes barbares dont il devrait s’abstenir plus que tout autre.

Sommes-nous enfin dotés de l’épopée en question ? nous ne le pensons pas. Il manque à la Divine Épopée de M. Soumet ce qui manquait aux poèmes dont nous avons fait la liste en commençant, le style, cet émail indestructible qui fait durer éternellement la pensée qu’il recouvre : la longueur et la dimension ne font rien pour l’immortalité d’un ouvrage. L’on surprendrait sans doute M. Soumet en lui disant qu’un fragment d’André Chénier contenant une douzaine