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LA DIVINE ÉPOPÉE.

classiques de la restauration, et ce n’est pas le moindre des nombreux défauts qu’on peut leur reprocher. Cet inconvénient est d’autant plus sensible chez M. Soumet, qu’il enlumine son style des couleurs les plus crues de la nouvelle école. Souvent un vers commence par un hémistiche que Delille pourrait revendiquer, et se termine par quelque image violente et démesurée, quelque exagération biblique et gigantesque, dont on ne pourrait trouver l’équivalent que dans la Sémiramis trimegiste de M. G. Desjardins, poème malsain, où le vertige du grandiose est poussé à ses dernières limites. Novateur venu trop tôt, M. A. Soumet n’a pu surmonter les difficultés de cette fausse position ; il a imité des poètes plus jeunes que lui, et n’a su prendre que leurs défauts car la nécessité de monter de ton une manière devenue trop pâle pour soutenir la comparaison avec l’éclat des ouvrages plus récens, a déterminé le poète académique à ce sacrifice beaucoup plus que le sentiment de respectueuse admiration qui porte les jeunes poètes à l’étude du grand homme à la mode. Il résulte de là quelque chose à la fois de suranné et trop moderne qui contrarie le lecteur à chaque instant. La Divine Épopée pourrait aisément être réduite à un volume, sans qu’on eût besoin de resserrer l’action ; les descriptions sont d’une longueur interminable, les discours n’en finissent pas, et il faut vraiment une volonté robuste pour arriver au bout de l’ouvrage. — Le manque d’intérêt d’une action qui se passe en-dehors des temps et de l’espace aurait dû avertir M. Soumet d’être plus sobre de développemens la plupart inutiles. Dans ces douze énormes chants, il n’y a rien de vraisemblable, rien d’humain, rien qui se rapporte à nos sensations et à nos idées ; les abstractions ne suffisent pas à la poésie. Pour retrouver ses forces, il faut que de temps en temps le poète touche la terre, comme Anthée dans son combat avec Hercule ; il peut quelquefois fendre les nuages d’un vol hardi, mais il ne doit pas y demeurer, sous peine d’y rester seul. Dante, qui a traité aussi un sujet hors des possibilités humaines, est cependant un des écrivains les plus réels. Plus la matière est abstraite, plus la phrase est sensible, d’un dessin exact et d’une application rigoureuse. Les ombres impalpables, assises dans une attitude de résignation douloureuse, sont comparées à des cariatides de marbre ployant la tête sous un entablement. Le monde réel est sans cesse rappelé par des comparaisons inattendues ; les gestes, les discours, les physionomies de toutes les figures monstrueuses ou fantastiques qui peuplent la funèbre spirale où tournoie le poète, sans jamais oublier qu’il a étudié le beau style d’après Virgilius Maro, sont possibles, naturels et vrais dans le sens de l’art. Rien de vague,