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LA DIVINE ÉPOPÉE.

l’Esprit ; les trois faces du triangle symbolique ont la même valeur, et ne forment qu’une seule figure dont la signification est Dieu. Admettre une hiérarchie dans les personnes de la Trinité est une erreur très grave. Mais laissons tout cela, qui est du ressort des synodes et des conciles, et arrivons à la critique purement littéraire.

L’idée première du poème de M. Soumet a été inspirée visiblement par le Dernier homme de Grandville, sublime ébauche en prose, grandiose conception révélée par un brillant article de M. Charles Nodier, inséré il y a quelques années dans la Revue de Paris ; la Sémida est bien proche parente de l’Éloa de M. de Vigny, cette ange née d’une larme du Christ, qui descend du ciel par pitié pour Satan, et de cette Rachel de l’Ahasvérus, qui se souvient de la terre dans les félicités du paradis. L’Idaméel appartient plus particulièrement à M. Soumet, quoique le Satan de Milton et le Prométhée de M. Quinet aient bien jeté çà et là quelques reflets sur lui ; mais ce n’est pas à ces ressemblances plus ou moins sensibles que s’adresseront nos critiques, — les idées s’engendrent les unes les autres, et ont chacune leur généalogie : en cherchant bien, on trouve des aïeux à tous les hommes et à toutes les pensées, — mais elles porteront sur le style et la forme.

L’on a beaucoup agité, dans ces derniers temps, la question de la prééminence de la pensée sur la forme, l’on a beaucoup parlé du spiritualisme et du matérialisme, de la synthèse et de l’esthétique. Nous croyons que l’on s’est mépris sur la véritable portée de l’art ; l’art c’est la beauté, l’invention perpétuelle du détail, le choix des mots, le soin exquis de l’exécution ; le mot poète veut dire littéralement faiseur ; tout ce qui n’est pas bien fait n’existe pas. Lisez la préface de la Pucelle de Chapelain et vous verrez que de mythes, que de symboles, et de hautes intentions métaphysiques sont cachés sous cette enveloppe coriace ; le plan de son poème, si justement oublié, est d’une régularité et d’une sagesse infinie. La composition de l’Illiade est à coup sûr plus défectueuse, et cependant un seul vers d’Homère, contenant une de ces épithètes qui font tableau, vaut mieux que les douze énormes chants du malencontreux rimeur. La métaphysique n’est pas l’art, il ne faut pas s’y tromper, et Kant n’a rien à faire avec les poètes.

On ne peut refuser à M. Alexandre Soumet une grande habileté à manier le rhythme ; son poème est plein de beaux vers dans la plus mauvaise acception du mot ; c’est quelque chose de creux, de brillant et de sonore, qui éblouit les oreilles et les yeux sans satisfaire