Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
LA DIVINE ÉPOPÉE.

se trouble, recule, se sent subjuguée malgré elle et, faisant un suprême effort pour se soustraire à cet ascendant vainqueur, enfonce ses ongles dans ses yeux, et s’aveugle volontairement, — excellent moyen de déjouer les magnétiseurs ; — puis, toute sanglante, elle s’élance sur son adversaire pour le mettre en pièces, mais celui-ci l’évite aisément, l’enchaîne et l’attache à un rocher.

Il ne sert pas de grand’chose à Idaméel d’avoir dompté et vaincu ce farouche gardien de la virginité de Sémida ; il a beau la promener d’éblouissemens en éblouissemens, la tenir suspendue sur des gouffres de splendeurs, lui montrer des entassemens de Babylones, des étages de palais fabuleux et des superpositions de tours d’orgueil : il ne peut parvenir à triompher de sa pudeur. Sémida l’aime, mais d’un amour trop épuré pour perpétuer le monde. Le titan tente un effort suprême ; Sémida invoque Éloïm, son ange gardien, et n’hésite pas, pour échapper aux poursuites du démon qu’elle adore, à se jeter dans le sein étincelant de l’archange, foyer de lumière et de flamme où elle est consumée à l’instant comme un papillon qui traverse un flambeau. Avec Sémida finit le genre humain ; les anges de l’air, des mers, des forêts et des fleuves, chantent l’hymne funèbre de la terre dans une longue complainte alternée ; Idaméel se couche sur le sol infertile, sûr de se réveiller roi des enfers ; là s’arrêtent naturellement les tables d’airain.

Le chant qui suit est intitulé : Apparition de Jésus-Christ aux régions de l’abîme. Les peuples de l’enfer ont achevé la lecture des tables d’airain et se préparent à envahir le ciel pour enlever la blonde Sémida, la maîtresse de leur roi ; mais l’effroi s’est mis dans les rangs, un inconnu s’est introduit au séjour où l’on n’attend plus personne, puisque le monde est fini et que le grand jugement a été rendu. Quel est cet inconnu à l’air calme et radieux qui d’un geste apaise tous les monstres de l’enfer, à l’aspect duquel les roues à pointes d’acier s’arrêtent, les fers s’élargissent, les chaînes se descellent et les tortures se suspendent ? On le conduit devant le sombre monarque qui, étonné de cette puissance, le fait asseoir sur le trône vide de Satan et entame avec lui une longue discussion théologique ; l’inconnu ne sourcille pas un instant des inexprimables douleurs attachées au trône de Satan, et, tout en parlant, écrase du talon la tête de l’hydre qui voulait se remettre à l’œuvre. Pour savoir le nom de l’inconnu, Idaméel fait appeler les trois plus grands criminels de ses états, Caïn, Sémiramis et Robespierre. C’est Abel, dit Caïn, c’est Abel qui vient m’absoudre ; C’est Ninus, s’écrie Sémiramis, Ninus qui m’a pardonné ; c’est Louis,