Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
REVUE DES DEUX MONDES.

peintures et de bas-reliefs ; il revêt leurs voûtes et leurs pavés de magnifiques couleurs, de riches dorures, de pierres étincelantes, et, semblable à la nature elle-même dans la prodigalité de ses œuvres, il paraît aussi, comme elle, agir spontanément, sans effort, et nous dérobe le secret de ses moyens.

À ces époques, la condition des artistes ne diffère guère de celle des autres artisans Leurs œuvres, peu récompensées, servent moins à leur propre gloire qu’à celle de ceux qui les ordonnent et les paient. Toujours mêlés et souvent confondus avec la masse des travailleurs, ils ne forment pas une classe à part. La société se sert d’eux comme elle se sert de tous les autres, parce qu’elle en a besoin. Leur nombre s’accroît ou diminue suivant les variations de ce besoin, et leur profession est, sous le point de vue économique et social, soumise aux conditions d’existence de toutes les autres. On les voit se porter et affluer là ou leurs produits sont demandés, se retirer, et disparaître dans les circonstances opposées. Voilà pour les hommes.

Quant aux œuvres même, elles se distribuent dans tous les sens et vont se placer là où les besoins les réclament. Aucune œuvre d’art n’est, dans ces temps, un simple produit de la fantaisie individuelle ; aucune n’a son but dernier en elle-même, ni une valeur propre et intrinsèque. Chacune au contraire a une destination déterminée, un but extérieur dont elle n’est que le moyen. Ce n’est pas à proprement à titre d’art et par sa seule vertu esthétique que l’art règne si souverainement et si universellement, mais comme expression des idées et des sentimens dont il est le véhicule ; car ce sont les objets représentés, et non les représentations, qui attirent, charment et subjuguent l’imagination des peuples. Il suit de là que l’art alors n’a pas proprement de lieu, de demeure ; il est partout et nulle part. Il n’a pas besoin d’un théâtre où il vienne se donner lui-même en spectacle sous son nom et à titre de phénomène exceptionnel. Il est dans les temples, sur les places, dans les palais publics, sur les chemins, et non ailleurs. Ce n’est pas encore le temps des musées, et encore moins des salons.

Toutes ces choses n’apparaissent en effet dans l’histoire de l’art qu’aux époques de sa décadence et la signalent. Dès cet instant, tout se passe dans un ordre inverse. Les représentations plastiques cessant d’être un impérieux besoin de la vie spirituelle, l’art perd peu à peu son but, et, avec son but, sa nécessité sociale. Ses œuvres demeurent sans destination, et le principe esthétique, ne trouvant plus de quoi se nourrir, s’énerve, se rapetisse, s’altère, et disperse son