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LA DIVINE ÉPOPÉE.

Un problème plus difficile à résoudre que tout cela occupe les forces de son esprit : il voudrait parvenir à réchauffer le soleil, qui se refroidit, à retenir l’ame de la terre qui s’en va ; il voudrait remettre de l’huile aux rouages inconnus de la vieille machine du monde qui se détraque. Prométhée plus vaste et plus hardi, il songe à dérober le flambeau céleste, non pour l’appliquer au flanc d’une poupée d’argile, mais pour redonner la vie à l’univers défaillant. S’il arrivait à ce résultat, il verrait avec joie tomber sur sa tête la foudre de tous les Jupiter, et s’ouvrir, dans le ciel enflammé, les ailes du vautour que rien ne rassasie : non pas qu’il soit sincèrement épris d’un grand amour de l’humanité, mais l’idée de contrarier les desseins de Dieu sourit à son orgueil de titan.

Dans ce dessein impie, Idaméel commence un voyage d’exploration ; il examine les endroits qui ont besoin d’être réparés, les mers qu’il faut tarir, les steppes et les déserts de sables qu’il faut rendre fertiles, etc. Tout en voyageant, il arrive au pied du mont Arar ; le printemps y fleurit encore, les arbres y verdissent, les fleurs s’y épanouissent et s’y reproduisent. La mort et la stérilité, qui règnent en maîtresses sur le reste du globe, n’ont pu envahir la montagne sacrée ; un pieux solitaire nommé Cléophanor, de l’aspect le plus patriarcal, habite sous une tente au flanc de la montagne. Il offre l’hospitalité à Idaméel ; quoique celui-ci étale une impiété voltairienne, Cléophanor ne désespère pas de le convertir. Le vieux mage a une fille parée de toutes les perfections imaginables, qui n’est autre que cette Sémida que nous avons déjà vue languissante au milieu des joies célestes, et attristant de sa mélancolie l’azur de l’éternelle sérénité.

Idaméel ne manque pas de devenir amoureux de Sémida, la seule femme dont les flancs ne soient pas maudits et qui ait la possibilité de perpétuer l’espèce humaine ; Sémida répond à l’amour d’Idaméel, mais elle sait résister aux enivremens dont il l’entoure, et garde avec soin sa virginité providentielle : Sémida ne doit avoir d’autre époux que l’époux immortel. Son amant, que le baptême administré par le vieux Cléophanor n’a pas rendu beaucoup plus religieux, monte jusqu’au sommet de l’Arar, malgré les défenses célestes, les avalanches et les éclairs. Sur le sommet, inaccessible jusque-là, repose l’arche sainte au même endroit où elle s’est arrêtée aux jours du déluge. L’audacieux y pénètre, en fouille les profondeurs, et en ressort triomphant : il a trouvé le plan du monde, la sphère aux cercles d’or qui a servi de modèle à la création ; il était temps, car trois volcans s’étaient ouverts dans le disque de la lune, et des taches grandissantes cou-