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LA DIVINE ÉPOPÉE.

de l’aigle mourant et tombe en tournoyant sur la terre des hommes, et le poète la recueille, comme saint Jean dans l’île de Pathmos, pour qu’elle lui serve à tracer « les récits étoilés de son drame mystique. » — Tu seras peut-être foudroyée de nouveau, s’écrie le poète en s’adressant à la plume, mais nul ne peut se refuser à l’inspiration, et il faut la suivre où elle nous conduit comme Dante suivait le laurier de son maître Virgile ; on n’a pas le doit de désobéir à l’esprit évoqué.

L’univers n’est plus. — Dieu a replié la création et l’a serrée dans les magasins du chaos, comme une décoration de théâtre quand le spectacle est fini. Il n’y a plus rien que le paradis et l’enfer, pour que l’éternelle justice puisse s’accomplir. — Le paradis a toujours été l’écueil des opéras et des poèmes épiques. Dante lui-même, et MM. Feuchères, Séchan, Dieterle et Desplechins, y ont médiocrement réussi. Notre terre, qui peut fournir d’innombrables variétés de douleurs, est bien stérile en images heureuses. Quand le poète a peint son ciel avec l’outre-mer le plus pur, qu’il a doré ses étoiles et ses auréoles à neuf, qu’il a illuminé à giorno du gaz sidéral le plus éclatant les palais de sa Jérusalem céleste, qu’il a mis un lis de Saron dans la main de chacun de ses bienheureux, qu’il a bourré ses cassolettes et ses encensoirs de toutes sortes de parfums bibliques ignorés d’Houbigant et de Laboullée, il est au bout de ses imaginations, qui ne vont pas au-delà des splendeurs d’un bal comfortable. Le ciel de M. Alexandre Soumet ne vaut pas mieux que les ciels de ses devanciers, et c’est assurément le morceau le plus faible de son poème. Il y a cependant prodigué les roses et les parfums de manière à contenter les nerfs olfactifs les plus exigeans et les plus délicats. Comprenant lui-même que les délices qu’il décrivait ne suffiraient pas à défrayer une éternité de bonheur, il a essayé quelques créations en dehors du monde connu, telles que l’oiseau Alexanor, qui n’a figuré, que nous sachions, dans aucun recueil d’ornithologie ; le meloflore ou melosflore, car ils se trouve écrit de deux façons, qui est, autant que nous avons pu comprendre, une espèce d’arbrisseau musical qui a des gammes et des arpéges pour feuilles, des trilles ou des points d’orgue pour fleurs. Dans quelle catégorie Linnée et Reicha placeraient-ils ce piano végétal ? Il y a encore un arbre Nialel, d’une botanique suspecte, et une certaine matière baptisée Argyrose, dont sont bâtis les palais des anges, que M. Alexandre Soumet prétend avoir été inconnue aux splendeurs d’Ophyr, et que nous croyons inconnue à des splendeurs moins problématiques que celle d’Ophyr, attendu qu’aucun dictionnaire n’en fait mention. Nous ne parlerons