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cette idée de doter la France de l’épopée qui lui manquait agita les cerveaux de tous les poètes : de mémoire nous en citerions une douzaine, la Pucelle de Chapelain, le Saint Louis du père Le Moine, le Clovis de Desmarets, le Moïse sauvé de Saint-Amant, l’Alaric du sieur de Scudéry, la Madeleine au désert du père Pierre de Saint-Louis, le Constantin du père Mambrun, le Martel de M. de Boissat, le Saint Paul de monseigneur l’Évêque de Vence, et bien d’autres enfoncés au plus profond des eaux noires de l’oubli, tous parfaits, tous construits selon les lois de l’architectonique, de la symbolique, de l’ésotérique, et autres recettes admirables, chefs-d’œuvre auxquels ne manque, pour pouvoir être lus, qu’une toute petite chose bien dédaignée, bien repoussée aujourd’hui par les mystagogues et les rêveurs à grandes prétentions… la forme, rien que cela !

Sous l’empire et au commencement de la restauration, il y eut recrudescence d’épopées ; Népomucène Lemercier, novateur malheureux que l’absence de style empêcha d’être un poète, en a fait trois ou quatre à lui seul, l’Atlantide, Attila, les Chants cataloniques, Alexandre, Homère et la Panhypocrisiade, poème bizarre où se joue devant les démons la grande comédie du XVIe siècle. On cite encore le Philippe-Auguste de M. Parceval de Grand-Maison, la Pucelle d’Orléans de M. Lebrun des Charmettes, la Caroléïde de M. d’Arlincourt, la Philippide de M. Viennet.

Les contemporains ont aussi tenté le poème épique. Il n’est pas besoin de rappeler aux lecteurs de cette Revue l’Ahasvérus, le Napoléon et le Prométhée de M. Edgar Quinet. M. de Lamartine a fait, outre Jocelyn, la Chute d’un Ange, poème dont l’étendue et le style sont des plus épiques. Il nous semble, d’après cela, que nous ne sommes pas si dénués d’épopées que nous en avons l’air.

M. Alexandre Soumet a-t-il enfin doté la France de l’épopée si impatiemment attendue ? c’est là la question, that is question, comme dit Hamlet.

Nous allons tâcher de faire entrer dans le cadre étroit d’une analyse ce gigantesque poème qui n’a pas moins de deux vol. in-8o.

L’invocation sacramentelle est remplacée par une vision d’apocalypse où le poète voit un aigle symbolique planer et lutter dans un ciel orageux avec une effroyable tempête : à travers la noire épaisseur des nuées, l’aigle tâche de diriger son vol vers le soleil ; mais le soleil agonisant pâlit et s’efface, et la tempête triomphante au milieu d’un déluge d’éclairs foudroie l’astre et l’oiseau, car les derniers jours du monde sont arrivés : une plume à demi brûlée s’échappe de l’aile