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LE SALON.

signe d’indépendance, il prend un peu partout, un peut de tout. N’osant plus choisir lui-même, de peur de se tromper, il donne à choisir au public ; il fait un assortiment de tous les goûts, de toutes les manières, de toutes les idées, de tous les dieux et de tous les temps, persuadé probablement que, parmi tant de choses, doit nécessairement se trouver ce qu’on cherche et ce qu’on demande. C’est là à peu près, sauf erreur, ce qui a lieu en ce moment même. D’autres fois, et c’est ce que nous avons vu il y a peu, l’art parle de se réformer et de renaître. Il prétend rompre avec toutes les traditions et être neuf ; il se croit libre parce que, n’ayant pas de but, il n’a pas de route tracée. La littérature lui apporte bientôt ses subtilités ; on fait la théorie du désordre, on invente le système de l’art pour l’art. Mais on est tout surpris de voir ce fracas révolutionnaire n’aboutir qu’à des combinaisons déjà épuisées ou à des extravagances préméditées, les plus insupportables de toutes. Telles sont les phases successives ou simultanées depuis quelques cent ans. C’est l’ensemble de toutes ces choses qu’on appelle une décadence.

Tout cela est bien connu, et si connu même, qu’il eût été assurément plus qu’inutile de reproduire ici ces lieux-communs de critique, si nous ne trouvions dans ces faits même l’origine et la cause de la constitution actuelle de l’art, considéré non plus dans son essence pure, mais dans les modes extérieurs de sa réalisation, dans ses conditions matérielles d’existence, comme profession et production, conditions dont la plus caractéristique est précisément le salon.

C’est ce qu’il importe de faire voir en peu de mots.

Aussi long-temps que l’art est lié par une sorte de solidarité aux sentimens généreux d’un peuple, auxiliaire du sacerdoce, instrument du culte, forme populaire des dogmes religieux et nationaux, et organe de la morale, il vit et subsiste par sa propre force. Répandu et comme infusé dans tout le corps social, il ne s’en distingue point en fait, puisqu’il n’en est qu’une des grandes fonctions ; et, à ce titre, son action est à la fois générale et incessante. De là cette fécondité inouie qui étonne tant nos époques appauvries. Destiné à satisfaire des besoins impérieux et universels, il ne se lasse pas de produire. Il élève, comme en se jouant, des montagnes de pierre et de marbre sous les noms de temples, d’églises, de basiliques ; il façonne des masses énormes de matière en péristyles, portiques, théâtres, colonnes, chapelles, cloîtres, tombeaux, portes, chaires, autels ; il peuple ces édifices sans nombre de millions de statues, et tapisse leurs murs de