Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/958

Cette page a été validée par deux contributeurs.
950
REVUE DES DEUX MONDES.

apprécier des résultats qui ne sont pas encore réalisés, qui peuvent ne pas l’être. La réserve est d’autant plus nécessaire, que des faits nouveaux en Orient et en Occident pourraient donner aux affaires générales une direction imprévue, et modifier profondément l’état actuel des relations internationales.

L’Orient et l’Amérique, l’Amérique surtout, ont fait perdre de vue les autres points de l’extérieur. La régence espagnole va se trouver en présence des cortès. Nous ne partageons pas l’opinion de ceux qui redoutent cette épreuve pour la tranquillité de l’Espagne et pour le trône de la reine Isabelle. Les exaltés ne semblent pas se trouver en majorité dans la nouvelle assemblée espagnole : encore moins sont-ils en majorité dans le pays. En Espagne comme ailleurs, et là plus qu’ailleurs, les exaltés ne sont qu’une minorité à la fois imperceptible et bruyante ; ils ne doivent leur importance qu’à l’apathie de la majorité, à cette apathie, qui, en Espagne surtout, peut, avant de s’émouvoir, supporter les désordres les plus fâcheux, endurer des outrages sanglans. Il y a cependant en Espagne plus qu’ailleurs des souvenirs, des traditions, des sentimens qui, malgré l’indolence du parti modéré, opposent une barrière infranchissable aux exaltés. Le principe monarchique n’est pas seulement dans la tête, mais dans le cœur des Espagnols. Ils ne regardent pas seulement la monarchie comme une institution politique, bonne en soi, utile, nécessaire à un grand état européen ; ils l’aiment, ils la révèrent, ils y sont attachés comme à une institution nationale, comme à une partie essentielle de l’Espagne ; l’Espagne et la monarchie, la monarchie espagnole, ne sont donc pour eux qu’une seule et même chose. Ils ne les ont jamais connues ni aperçues l’une sans l’autre. Les séparer, c’est une de ces abstractions de la pensée qu’un peuple comme le peuple espagnol traite de folie. En parlant de l’Espagne, on oublie trop souvent son histoire ; ce n’est cependant que par son histoire qu’on peut expliquer la politique d’un peuple, ses erreurs, ses efforts, ses tendances. L’Espagne se traînera long-temps encore dans une ornière raboteuse et difficile. Menacée tous les jours d’un bouleversement qui, heureusement pour elle, ne peut s’accomplir, s’efforçant tous les jours d’établir dans le gouvernement de l’état un ordre, une règle dont elle sera long-temps encore incapable, l’Espagne, à travers ces difficultés et ces périls, profitera cependant de l’esprit du temps, s’éclairera peu à peu de la lumière générale et entrera un jour effectivement dans le giron politique où la nature et la géographie l’ont placée. Séparée invinciblement des états absolutistes et stationnaires, rattachée à la France par le voisinage, à l’Angleterre par les communications maritimes, secondée dans ses nobles efforts par les deux grands états constitutionnels, repoussée, tourmentée, méconnue dans son droit par les cours du Nord, l’Espagne, sans s’assimiler servilement ni à l’Angleterre, ni à la France, sans perdre son caractère national, sans cesser d’être elle-même, sera un jour un pays d’ordre, de progrès et de liberté. Certes, ce n’est pas aujourd’hui, ce n’est pas demain que ces prévisions pourront se réaliser. De mauvais jours sont encore réservés à l’Espagne, les jours de l’expiation ne sont pas encore révolus. Il n’est pas