Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/951

Cette page a été validée par deux contributeurs.
943
REVUE MUSICALE.

tous les incidens qui peuvent naître d’un motif fécond, lorsqu’il a combiné, tissé, noué, tordu de cent manières le fil des situations, M. Scribe invente un dernier prodige plus prodigieux que tous les autres, et d’une bohémienne traquée par la police fait la reine du Portugal pour en finir. Après tout, que M. Scribe se pille lui-même, qu’il abuse souvent de certaines combinaisons, cela ne regarde pas la critique ; mais le public, qui se porte en foule à ses pièces, opéras où comédies, s’amuse, et par conséquent lui donne raison sur les moyens. Ni plus ni moins, il ne s’agit point, en tout cela d’une question littéraire. — La partition de M. Auber, bien qu’un peu de lassitude se fasse sentir çà et là, vous étonne encore, après tant de petits chefs-d’œuvre, par sa physionomie agaçante et mélodieuse. Que d’esprit et de gentillesse à défaut d’imagination ! que de talent et de merveilleuse habileté à défaut de génie ! Le motif, cette ame de la musique d’Auber, scintille à tout instant comme une perle dans le tissu délicat de cette harmonie ; vous le retrouvez là moins fréquent sans doute que dans le Domino Noir, mais toujours enjoué, pétulant, aimable ; et cet orchestre, que de grace, de verve, d’invention, de minutieuse élégance dans ses moindres détails ! Tous ces instrumens causent ensemble de chose et d’autre ; les flûtes et les hautbois, les violons et les clarinettes, échangent entre eux mille petites conversations, comme les oiseaux dans les branches. Le chœur de moines, qui sert de finale au premier acte, est une ravissante boutade ; il règne, dans cet hymne de dévotion qu’entonnent des bandits déguisés en capucins, un ton de persiflage et d’ironie qui convient à merveille au sujet. M. Auber, avec son esprit fin et prompt, s’entend mieux que personne à rendre ces nuances de sentiment qu’un musicien vulgaire ne saurait indiquer. Qu’on se rappelle à ce propos les couplets dévotement goguenards de l’économe dans le Domino Noir. L’air de la Catarina au second acte serait un chef-d’œuvre si l’Aragonaise du Domino n’existait pas, l’Aragonaise, ce joli patron sur lequel M. Auber avait déjà taillé les couplets de Zanetta. Au milieu de tant de richesses, comment soi-même ne pas confondre : les couplets de l’Ambassadrice, les couplets d’Actéon, du Domino Noir, de Zanetta, que sais-je ? Puisque nous citons les traits les plus charmans par lesquels l’opéra nouveau de M. Auber se recommande, indiquons encore dans le trio du troisième acte un motif délicieux et qui rappelle peut-être la première phrase du trio de Gustave, mais de loin et juste autant qu’il faut pourqu’on l’en aime davantage. — Cette fois, la partition de M. Auber s’est produite sans sa cantatrice accoutumée. L’auteur des Diamans de la Couronne, qui ne veut pas qu’on vieillisse, lui dont l’imagination heureuse a toujours vingt ans, M. Auber n’a plus trouvé que la voix de Mme Damoreau fût assez jeune désormais pour sa musique. Mme Damnoreau cède le pas à Mme Thillon. Cela se conçoit-il ? n’importe, le maître l’a voulu ainsi, et la prima donna se retire. Mais, avant de quitter la scène, quels adieux ravissans elle adresse au public chaque soir ! Allez entendre encore Mme Damoreau dans l’Ambassadrice, dans le Domino Noir, et dites si jamais on eut plus d’élégance, de goût, de vocalisation et d’intelligence musicale. Il