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placer en peu de temps ? Il est impossible que Barroilhet songe à se fixer à l’Opéra, et ne se lasse pas, tôt ou tard, du régime qu’on lui fait là. On se demande quels avantages un talent comme le sien, une voix dont la plus grande séduction réside dans l’art de ménager les nuances, peuvent trouver dans ce répertoire où le système dramatique domine. Passe encore pour l’air de bravoure ; mais toujours crier comme quatre, toujours se démener, avoir à lutter avec les trombones et les ophycléides, lorsque la voix voudrait se déployer dans une de ces phrases mélodieuses que le violoncelle affectionne, en vérité, la position n’est pas tenable, et Barroilhet finirait par y succomber comme tant d’autres. On écrira des rôles pour lui, dites-vous ; à merveille. Mais quel ensemble groupera-t-on à ses côtés, quelles voix lui donnera-t-on pour sympathiser avec la sienne ? Écoutez le septuor de Don Juan aux Italiens, et vous reconnaîtrez facilement que toutes ces voix s’accordent entre elles, non-seulement par l’intonation, mais par le style et la méthode. Rubini, Tamburini, la Grisi, la Persiani, relèvent tous des mêmes traditions ; de là le merveilleux ensemble de la troupe italienne, son harmonie. À l’Opéra, au contraire, autant de personnages, autant de styles ; celui-ci récite, celui-là chante ; l’un prétend restaurer la déclamation lyrique, et donne à sa phrase un tour solennel et pédantesque ; l’autre affecte les allures de l’école de Bellini. Il suffit que deux voix se rencontrent pour que la dissonnance éclate. L’atmosphère de l’Académie royale de musique ne saurait convenir à Barroilhet pas plus qu’à M. de Candia ; il faudra qu’il en sorte, et le plus tôt sera le mieux. — Quant aux femmes, la Persiani et la Grisi semblent de nature à porter plus d’un hiver encore le fardeau du répertoire, et, s’il y avait lieu à se régénérer de ce côté, ni Mlle Loewe, ni Pauline Garcia ne manqueraient à l’appel. Mais la salle ? C’est là, en effet, la plus urgente nécessité, à laquelle on devra pourvoir ; et l’autorité interviendra, sans doute, d’ici à la saison prochaine. À moins de vouloir la ruine définitive du Théâtre-Italien, on ne peut prolonger davantage son exil dans les solitudes du quartier de l’Odéon. On a parlé de la salle Favart. Tous les souvenirs des Bouffes sont là, dans cette salle élégante d’où l’incendie les a chassés, et que d’autres ont usurpée depuis comme le coucou qui s’empare du nid de la fauvette. À tout prendre, l’Opéra-Comique s’accommoderait assez de la Renaissance, que le mélodrame des boulevarts occupe à cette heure, faute de mieux.

En attendant, la clôture s’annonce dignement. Si le dilettantisme s’est un peu ralenti cette année pendant le cours de la saison, voilà qu’il se ravive et prend feu de plus belle, à mesure que l’heure des adieux approche. À la dernière représentation de Lucia, Rubini, quoique visiblement indisposé, a rencontré de sublimes effets. Au troisième acte surtout, il est admirable ; jamais la passion, la mélancolie, le désespoir, n’ont eu, pour s’exprimer, un plus noble accent, et disons le aussi un plus noble langage. Comme toute cette scène se développe avec puissance, depuis cette ritournelle si pleine de terreur, qui précède l’adagio, jusqu’à cette phrase de bell’alma inamorata, si désolée et si plaintive ! Quel dommage, quand on a pu trouver de semblables inspira-