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veau ? Car, n’ayons garde de nous le dissimuler, le groupe qui se retire emporte avec lui toutes les traditions de la musique de Bellini. On chantera encore la Sonnambula après Rubini, encore les Puritains après la Grisi, la Straniera après Tamburini ; mais le caractère, l’expression, le secret mélodieux de ces langoureuses cantilènes se perdra de plus en plus, il en sera bientôt des nouveaux chanteurs à l’égard de Bellini, comme il en est de Rubini par exemple, à l’égard de Rossini. Vous ne ferez jamais que le prince des ténors de notre temps chante Otello ou la Gazza avec la même supériorité incontestable, le même sentiment, le même génie qu’il apporte dans l’exécution des Puritains ou de la Sonnambula. Cette musique de Rossini a le tort de n’être point écrite spécialement à son intention ; il ne la comprend plus, et puis d’autres s’en sont emparés avant lui. Garcia n’a-t-il pas posé à tout jamais sa griffe de lion sur le rôle d’Otello ? les souvenirs de Davide ne palpitent-ils pas aujourd’hui encore dans le duo de la Gazza ? Rossini appartient déjà à une génération de chanteurs qui n’est plus ; dans quatre ans, sans nul doute, on en pourra dire autant de Bellini. Qu’on s’étonne ensuite que les maîtres Italiens traitent si légèrement la confection de leurs chefs-d’œuvre, eux qui savent par expérience qu’une partition ne survit point à son chanteur ! Du reste, les mêmes vicissitudes n’ont-elles pas atteint le répertoire ? ne disait-on pas, aux beaux jours de Semiramide, d’Otello, de Tancredi, qu’il n’y avait d’espoir et de salut qu’en Rossini, et que le jour où le chantre immortel se tairait, le Théâtre-Italien cesserait d’exister ? Cependant Bellini est venu, puis Donizetti. Qu’on se rappelle les préventions que rencontrait jadis la mise en scène de tout opéra nouveau ; s’agissait-il de représenter une partition écrite pour notre scène, et que par conséquent l’enthousiasme de l’Italie n’avait point consacrée d’avance, le public de Favart n’en voulait rien entendre ; cependant nous l’avons vu changer d’avis au sujet des Puritains, et, dès cette époque, un nouveau système de répertoire commence. Nous avons bien remplacé Rossini et la Malibran ; pourquoi donc, s’il vous plaît, ne remplacerons-nous pas Rubini ? La crise sera longue et laborieuse peut-être, mais il ne faut pas que l’administration se décourage. Et d’abord, je ne m’imagine pas l’Italie aussi dépourvue de ressources que certains dilettanti aux abois le prétendent. Depuis plus de six ans que les grands chanteurs passent tous leurs hivers à Paris et leurs étés à Londres, de jeunes talens doivent s’être formés, car, en Italie, il faut qu’on chante. On cite déjà plus d’un nom que le succès recommande, entre autres, Moriani et Poggi ; Moriani surtout, jeune ténor de vingt-cinq ans, dont on vante la voix sonore, et l’instinct musical et progressif. Malheureusement, il y a peu de chances de l’entendre à la saison prochaine. Moriani redoute, pour ses débuts, les souvenirs tout frémissans de Rubini, et, pour éviter une lutte toujours dangereuse avec des impressions si puissantes, compte ne pas se produire avant deux ans sur une scène si long-temps occupée avec gloire par l’illustre virtuose. N’importe ; voilà de quoi nous rassurer un peu pour l’avenir, du côté des ténors. Rien ne donne à penser que Tamburini doive se retirer si tôt ; mais, le cas échéant, n’aurions-nous pas sous la main de quoi le rem-