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LES SETTE COMMUNI.

s’était assis auprès d’elle, la tête appuyée sur le sac de ducats. Un vent lourd et orageux gonflait la voile latine, et la barque marchait péniblement. Vers le milieu de la nuit, au moment où Leonardo allait céder au sommeil, il aperçut dans l’ombre un des matelots qui soulevait doucement une des planches du bateau, et prenait dans la cale un objet qui ressemblait à un poignard. La lueur d’une étoile qui se réfléchit sur la lame polie au moment où le pirate, à quelques pas de lui cachait son arme sous des filets, lui ôta toute espèce de doute. Le matelot se rapprocha ensuite de ses compagnons assis à la poupe du bateau, et tous trois se concertèrent quelques instans à voix basse. La situation devenait des plus critiques. Anetta dormait, Leonardo était sans armes ; et il ne pouvait douter que ces misérables, tentés par la vue de l’or, ne fussent décidés à commettre un double assassinat. Il fallait payer d’audace ou se laisser lâchement égorger. Leonardo eut bientôt pris son parti : il se leva, chancelant, et comme à moitié endormi. — La nuit est bien noire, dit-il, en baillant, au matelot qui venait de cacher le poignard et qui se trouvait près de lui ; s’appuyant ensuite sur le rebord de la barque — Quel est ce fanal qui brille là-bas ? ajouta-t-il avec une feinte surprise, sommes-nous déjà si près du port ? — Le pirate étonné se pencha aussitôt en dehors de la barque pour mieux voir l’objet qu’on lui montrait. Leonardo l’attendait là ; le saisissant brusquement par les jambes, il le renversa d’un seul coup et l’envoya, la tête la première, chercher au fond de l’Adriatique le fanal qu’il lui montrait. Ramassant ensuite le poignard caché à ses pieds, il fit briller la lame aux yeux des deux autres bandits, jurant, par Satan ! qu’il la plongerait tout entière dans le ventre de celui des deux qui bougerait le premier. Les misérables étaient sans armes, ils savaient que Leonardo était homme à bien tenir sa parole, ils n’eurent garde de faire un mouvement. Aidé d’Anetta, que cette altercation avait tirée de son sommeil, Leonardo les garrotta et les laissa couchés dans leur coin.

L’histoire du commandant Leonardo nous paraissait trop habilement combinée pour que le dénouement ne fût pas heureux. Nous nous trompions cependant. Une scène tragique devait couronner une si belle suite d’aventures et compléter le roman : — Le lendemain de cette scène nocturne, nous dit le commandant, que nous laisserons cette fois parler lui-même, nous nous trouvions en vue des bouches du Cattaro, lorsqu’un éclair, suivi d’un violent coup de tonnerre, nous annonça l’approche d’un de ces orages si fréquens sur cette