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LES SETTE COMMUNI.

garrotté. On le conduisit dans la ville de Cettigne, où il fut promené ignominieusement dans les rues, monté sur un âne ; puis, sur un ordre du bey, on le déposa dans un puits profond ; où des ossemens humains et une fange infecte lui arrivaient jusqu’aux épaules.

Leonardo, au fond de son puits, regretta presque le pal ; la mort eût été moins lente. Que faire cependant en pareille aventure ? Espérer, parce qu’on espère toujours ; se résigner, il le faut bien, et puis mourir. Leonardo s’était résigné ; il n’espérait plus, quand, vers le tiers de la première nuit, il entendit un léger bruit au-dessus de sa tête. Il allongea la main et rencontra une cruche qui se balançait au bout d’une corde ; la saisir, la porter avidement à ses lèvres et vider d’un seul trait le lait dont elle était remplie, fut pour le prisonnier l’affaire d’un instant. Après avoir bu, sentant ses forces et son courage renaître : — Descendez la corde plus bas, cria-t-il. On le comprit, car le bout de la corde tomba au fond du puits. Leonardo y attacha des os en croix, et, s’accroupissant sur cette espèce de sellette : Maintenant, tirez-moi hors du puits, si vous pouvez, ajouta-t-il d’une voix suppliante. Il achevait à peine, qu’il se sentit enlevé. La corde était forte et la poulie bien roulante ; plus d’une fois cependant, avant d’arriver à la margelle du puits, Leonardo sentit la corde fléchir, comme si elle allait s’échapper des mains qui la retenaient ; une fois même la corde retomba brusquement vers le fond du puits. Cependant, après bien des efforts, il atteignit enfin le rebord de granit, sauta hors du puits, et se trouva debout devant une femme, car c’était une femme qui l’avait secouru. — Dieu soit loué ! s’écria-t-il en italien. — Dieu soit loué ! répondit la femme dans la même langue. — Leonardo surpris allait l’interroger. — Ne perdons pas de temps, lui dit-elle ; le bey est endormi, et j’ai ses clés. Prends celle-ci, ajouta-t-elle en mettant une clé dans la main de Leonardo, cours à l’écurie, et fais sortir les deux chevaux alezans que tu trouveras sellés ; ceux-là sont les plus rapides. — Leonardo prit la clé, ouvrit l’écurie, et fit sortir les chevaux. Pendant ce temps, la femme courut au trésor, remplit de ducats un sac à avoine, le jeta sur le cou d’un des deux chevaux ; puis, sautant légèrement sur la selle, elle secoua la bride, et partit comme une flèche, criant à son compagnon de la suivre. Tous deux traversèrent la ville, gagnèrent la campagne et coururent de toute la vitesse de leurs chevaux jusqu’au lever du jour.

Le soleil dorait les cimes du Monte-Negro, quand nos fugitifs mirent pied à terre, à l’entrée d’un bois qui couvrait de petites collines du haut desquelles la vue s’étendait au loin sur la plaine. Ce