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encore, et nous entraînaient rapidement après eux sur cette route difficile, couverte par places de gros cailloux roulés, qu’évidemment le torrent avait apportés là, et que l’eau rendait glissans. Mon ami, que sa récente maladie avait affaibli, haletait et s’arrêtait pour reprendre haleine. — Hâtons-nous ! nous cria le plus âgé des deux montagnards ; il y a eu hier des pluies d’orage dans la montagne ; du côté de la Tonotta, les neiges du mont Portole auront fondu, les eaux grossissent, et malheur à nous si le torrent nous gagnait avant que nous fussions sortis de la caverne ! — Tenez, le voici qui se fâche, on l’entend rugir du côté de Gallio ! ajouta son compagnon. Nous entendions en effet un bruit sourd et formidable qui semblait venir du bout de la caverne vers lequel nous marchions. — Quoi ! c’est le torrent qui fait ce bruit ? — Lui-même, les eaux arrivent ; je parie qu’avant une heure elles rempliront le souterrain tout entier ; hâtons-nous donc !… Nous ne nous le fîmes pas dire deux fois ; nous attachant aux basques de nos guides et réglant nos pas sur leurs pas, pour ne pas tomber, nous nous dirigeâmes le plus rapidement que nous pûmes vers l’extrémité de la galerie, où grondait toujours ce bruit qui nous avait effrayés. Plus nous avancions, plus le couloir s’élargissait devant nous ; bientôt nous aperçûmes comme une grande lueur blafarde et bleuâtre qui semblait tomber d’un vaste soupirail. Nous cherchions à nous rendre compte de ce singulier effet de lumière, quand nos guides, nous prenant chacun par un bras et nous entraînant brusquement après eux, à travers les eaux bondissantes (le chemin manquait en cet endroit) : — Courons vite ! courons vite ! voici le torrent qui arrive ; une seule minute de retard, et nous sommes perdus ! Ils n’avaient pas achevé, que de la cheville les eaux nous arrivèrent au genou, aussi rapides que si elles eussent coulé dans l’écluse d’un moulin ; du genou elles nous montèrent aux hanches, et, sans nos guides, elles nous eussent infailliblement entraînés. Nous raidissant tous ensemble contre le torrent, et gravissant, à l’aide des mains et des pieds, quelques blocs de rochers, nous nous trouvâmes à l’issue du périlleux couloir, hors de la portée de l’inondation.

Le spectacle que nous avions, en ce moment, devant les yeux, était des plus magnifiques et des plus extraordinaires : il compensait bien des peines et des dangers. Le couloir d’où nous sortions aboutissait à une immense caverne, non plus ténébreuse comme celle que nous venions de parcourir, mais éclairée par un large soupirail ouvert au-dessus de nos têtes, vers la cime de la montagne. La bande de ciel que l’on apercevait à travers cette déchirure se teignait d’un