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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

n’est pas moins vivement réfléchi dans Homère que le milieu physique. Les détails de mœurs sont semés à main pleine dans toute l’étendue des poèmes, et surtout dans l’Odyssée. On y trouve dans leur intérieur la famille de Ménélas, de Nestor et d’Ulysse, la maison de campagne du vieux Laerte, ses étables gardées par des chiens, son ameublement grossier, sa cuisine de paysan, sa familiarité avec ses valets, ses occupations de jardinage. Tout cela donne une idée parfaite de ce qu’on appelait un roi dans ce temps-là, d’un chef de tribu guerrière ; nous ne connaissons guère que Walter Scott qui soit entré aussi soigneusement dans l’intimité d’une époque historique. Les récits les plus invraisemblables d’Ulysse sont eux-mêmes un trait de caractère des plus vrais ; c’est le goût de la légende, commun à tous les peuples enfans, et surtout aux peuples navigateurs et aventuriers, dont l’imagination transforme volontiers les faits lointains en prodiges. Homère est donc l’historien observateur le plus ancien. Avant lui, sous l’influence orientale, tout récit dégénérait en merveilleux mensonges ; les faits prenaient des proportions énormes et le symbolisme y faisait pulluler les monstres ; c’est ce qu’on voit par les traditions des Titans, de Cadmus, d’Hercule, de Jason, et tant d’autres ; c’est ce qui est cause que l’Égypte et L’Inde ne nous ont point laissé d’histoire, quoiqu’on y écrivît beaucoup. Mais la Grèce, et particulièrement l’Ionie du temps d’Homère, en gardait le merveilleux traditionnel, lui faisait sa place de plus en plus étroite, et augmentait la collection des circonstances réelles. De là est née l’histoire ; Homère marque le point où la fable se clôt, et où l’histoire s’ouvre ; et cela est si vrai, que l’empreinte de son génie se remarque long-temps encore après lui dans les historiens. Hérodote, en effet, ne trahit-il pas dans le plan de son histoire l’impression qu’il a reçue des poèmes homériques ? Comme Homère, il entre d’abord dans son sujet, qui est la guerre des Perses ; mais bientôt, par forme d’épisode, il remonte dans le passé, s’écarte à droite et à gauche, et intercale l’Égypte, la Perse, la Scythie, dans sa chronique toute nationale, de même que, dans le retour d’Ulysse à Ithaque, viennent s’intercaler les pays des Phéaciens, des Cyclopes, et même notre Gaule lointaine et nébuleuse, pays des Cimmériens, et, selon la légende grecque, vestibule des ténèbres éternelles. En outre, cet usage singulier, conservé si long-temps par les historiens, de faire parler leurs personnages, et d’introduire dans le récit d’un événement réel des discours de leur invention et des scènes dramatiques créées tout simplement pour amuser et pour émouvoir, cet usage d’Hérodote,