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bles, des caractères invraisemblables et une nature imaginaire, autant la poésie homérique, si l’on met à part les légendes que la tradition lui imposait, est au contraire scrupuleusement vraie, naturelle, prise à la source de toute connaissance, l’observation des choses. Si l’on comptait la foule de traits dérobés à la nature même, soit dans l’ordre des phénomènes physiques, soit dans celui des mouvemens du cœur humain, soit enfin dans les détails qui révèlent l’état d’une société à telle période de son développement, on se ferait une bien grande idée du génie attentif et pénétrant des hommes dont Homère a résumé la richesse intellectuelle.

D’abord, quant aux phénomènes naturels, qui ne sait la variété de couleurs et l’abondance d’idées avec lesquelles il décrit la nature ? Ses poèmes, comme le bouclier d’Achille, portent en gravure immortelle toutes les beautés qui couronnent le ciel, et la terre, et les mers. Il les enchâsse dans son récit, quand elles y entrent naturellement ; mais sa fécondité ne peut s’écouler suffisamment par cette voie, et il sème en son chemin ces nombreuses comparaisons, ces petits tableaux parfaits, dont le trait précis, le choix et la variété réfléchissent mille points de vue. J’ai bien regret que les imitateurs classiques et les professeurs de poésie aient tant défloré ces chefs-d’œuvre ; les comparaisons d’Homère, traduites, refaites, manipulées, gâtées, prostituées, sont presque devenues banales. Mais si, par un libre effort de l’esprit, on parvient à oublier tous ces plagiats ; si on se représente qu’on les lit pour la première fois dans leur source fraîche et limpide ; si on en recueille l’impression encore toute neuve et toute naïve, que de paysages charmans on y contemplera ! N’est-il pas vrai qu’on éprouve, lorsqu’on s’abandonne à cette poésie, le sentiment vrai de la réalité, de la présence des choses ? On se croit dans ces vallées pleines de forêts, dans ces montagnes déchirées, devant ces promontoires, ces flots bruyans, ces plaines engraissées par les rivières qui les traversent ; au milieu de cette vie aventureuse, de cette vie de navigation, de guerre, de chasse, d’agriculture ; au sein d’une civilisation naissante, encore naïve, déjà ingénieuse, encore discordante, déjà curieuse d’harmonie, de commerce et de beaux-arts. Et toujours la description vient en son lieu, comme un accessoire, comme une parure distribuée avec richesse, et en même temps avec économie, sur un beau temple ionique ; tout un poème descriptif est ainsi brodé dans le tissu de l’épopée ; il le décore partout et ne le surcharge nulle part.

Quant au milieu social dans lequel se meuvent les individus, il