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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

premiers livres de l’Odyssée, et la pensée théologique qui y règne est précisément celle d’Homère : l’homme, représenté par le jeune fils d’Ulysse, toujours se débattant contre ses passions propres, contre les douleurs sociales, contre les accidens de la nature ; la Providence, représentée par Jupiter, qui lui envoie sa sagesse ou sa grace sous l’image de Minerve ; puis celle-ci faisant l’éducation morale de l’homme, par l’épreuve et la surveillance, le secours et l’abandon, par tout ce qui trempe les ames et nourrit la virilité des caractères.

Quoique le dogme de la liberté morale ne soit pas aussi expressément énoncé dans l’Iliade que dans l’Odyssée, il y respire cependant avec plus d’énergie encore. Déjà les anciens avaient remarqué qu’Homère avait abaissé les dieux jusqu’au niveau humain, et qu’il avait élevé l’humanité au niveau des dieux. En effet, s’il met la comédie dans l’Olympe, la scène terrestre lui doit un drame constamment noble. Dans ses batailles, les hommes mettent les dieux hors de combat. Se peut-il imaginer une plus audacieuse figure de l’individualité humaine se posant libre en face du destin ? Ainsi, par ce côté encore, la Grèce attaquait l’Orient.

Ce serait sans doute arranger l’histoire à l’encontre de la nature même, que de supposer qu’aucun peuple ait jamais professé un fatalisme absolu ou un stoïcisme absolu. Partout l’homme se sent une volonté, et sait qu’elle peut quelque chose ; partout aussi il sait qu’elle ne peut pas tout, et se sent dominé par un ordre extérieur mu d’une pensée souveraine. Mais la croyance des peuples, flottante entre les extrêmes, et saisissant mal le point délicat où les contraires se touchent, penche d’un côté ou de l’autre selon l’influence de tels ou tels faits. Ainsi, dans l’ancienne cité orientale, la suprématie religieuse et la coaction politique se trouvant dans les mêmes mains et s’exerçant ensemble avec force sur tous les détails de la vie, l’obéissance s’imposait en toutes choses comme venant directement de Dieu. Le sacerdoce héréditaire consacrait l’hérédité dans toutes les positions ; la société roulait comme une machine universelle capable de fouler et d’écraser toutes les volontés résistantes, toutes les énergies personnelles ; de sorte que la vie humaine semblait se confondre avec la vie uniforme et invariablement tracée de la nature physique : type social qui s’est conservé à degrés divers dans l’islam ou soumission musulmane, dans la résignation indienne, dans l’immobilité chinoise, et au sein duquel l’ancienne Égypte avait fini par se pétrifier. Sous ce mouvement irrésistible, l’individu ne sentait que son néant. Si une révolution venait élever quelques personnages