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VINETTI.

manqua pas d’accourir à notre rencontre et de nous faire l’accueil le plus empressé.

Je dus en partie les égards affectueux qu’on me témoigna tout d’abord au bonheur dont je jouissais alors d’étudier à l’université de Goettingue, où le pasteur marchand de harengs avait séjourné jadis quelques années.

Bientôt la ménagère rentra apportant le souper, c’est-à-dire un énorme plat de poissons qu’elle déposa sur la table, en nous promettant d’avance, en manière de compensation à la maigre chère que nous allions faire, un grog incomparable pour les délassemens de la soirée. Elle tint parole, et quelques instans après, munis de bonnes pipes de Hollande, nous étions commodément assis devant la cheminée, les pieds étendus dans l’âtre tout rouge de charbon de terre, et devant nous, sur la corniche, un large pot rempli du rude nectar des marins.

Cependant la tempête mugissait de plus en plus au dehors, et le sentiment du bien-être dont nous jouissions dans cette chambre chaude et bien fermée doublait encore de prix par le contraste.

— Il faut que cette terre soit abandonnée du ciel, murmura le pasteur. Quel temps ! Encore des restes de vaisseaux, des restes d’hommes qui vont échouer sur le sable comme avant-hier, le jour où nous avons ramassé notre malheureux Seph et les autres cadavres. Pauvre Seph ! soupira le vieillard, si jeune et si beau, et dire que demain on l’enterre !

— Quel est ce Seph ?

— Pour vous conter toute l’histoire, c’était un enfant de Bohème que j’ai élevé ; plus tard il m’échappa, et avant-hier on l’a trouve mort sur le rivage. Un autre cadavre gisait auprès de lui, un cadavre basané et tout enveloppé de langes comme un enfant. Demain je les veux ensevelir tous deux en terre sainte, comme des chrétiens. Nous ne creuserons qu’une fosse, pour qu’ils dorment ensemble, côte à côte, jusqu’au jour de la résurrection.

— C’était, continua Catherine, un beau jeune homme brun, avec de longs cheveux noirs qui reluisaient comme la plume d’un corbeau, ainsi qu’on peut le voir encore maintenant, après sa mort. Ses yeux avaient l’éclat de deux charbons ardens ; on eût dit un chat sauvage. Il forçait un lièvre à la course. Ah ! si vous l’aviez vu grimper sur les arbres comme un écureuil, escalader les murailles…

Ma curiosité était piquée au vif, comme on le pense, et le vieillard,