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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

trouvé du Cithéron, un chef de bandes forcé de chercher sa subsistance par son courage, peut-être une des victimes du printemps sacré, qui était en usage chez toutes ces races guerrières. Arrivé à Thèbes au moment des troubles excités par la disparition du roi Laïus, il prend parti contre la race orientale, la race aux symboles et aux mystères, représentée par le sphinx[1] ; et cet animal symbolique qui sacrifiait ceux qui ne comprenaient point sa langue énigmatique, c’est-à-dire qui opprimait les Hellènes, tomba à son tour sous le courage et l’habileté du jeune aventurier. Alors les prêtres et les devins accusèrent Œdipe des crimes les plus affreux, du régicide, du parricide, de l’inceste ; ils lui reprochèrent jusqu’à la peste qui vint à sévir dans la ville. Le plus important de ses adversaires était Tirésias, vieux prophète aveugle, d’origine phénicienne, car il descendait, selon Apollodore, de l’un des guerriers de Cadmus. Sophocle a conservé admirablement la couleur orientale de cette vieille tradition ; dans sa tragédie, Tirésias, menaçant le roi, en termes obscurs et terribles, de la colère céleste, rappelle, par le ton et les figures de son discours, ces prophètes hébreux qui sortaient de leur solitude pour raconter aux princes des paraboles accusatrices, et leur dire : « C’est toi qui es cet homme ! » En vain le roi, avec l’impétuosité de son caractère et l’orgueil de sa puissance, répond à l’oracle par le raisonnement, et à la menace par l’invective ; Tirésias n’en parle que plus haut ; fait de la peste qui frappe le peuple comme une punition divine, il la rejette comme une malédiction sur la tête d’Œdipe ; il en résulte enfin que le prince excommunié est détrôné, et son pouvoir livré à un rival.

Mais Homère va nous développer encore mieux cette situation des choses. L’Iliade tout entière sort d’un fait de la même nature. Le Tirésias de la guerre de Troie, c’est Calchas. Partout ce prêtre s’était mis en contradiction, tantôt sourde et tantôt déclarée, à l’égard de la puissance militaire de son temps. Comme pour constater dès le commencement de l’expédition la puissance d’opposition qu’il entend exercer, il impose au chef des rois le sacrifice de sa fille Iphigénie : usage horrible que l’Asie avait importé dans la Grèce. Ensuite, pour affaiblir l’autorité en la divisant, il suscite un rival à Agamemnon, en déclarant de par les dieux que Troie ne saurait être prise sans l’assistance d’Achille. Autre attaque : le roi des rois, dans un jour de mau-

  1. Les Béotiens appelaient le sphinx φίξ, φίκος. Phicaa, en phénicien, signifiait, selon Bochart, le sage, le voyant, aussi le juge. Le sphinx représentait donc à Thèbes le prêtre-juge, ce sacerdoce dépositaire des dogmes cachés sous les symboles et constitué en aristocratie.