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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

c’est de la jeune juive, si docte et si belle, qu’il est épris mystérieusement ; elle meurt. Dans la troisième partie nommée du nom d’Henriette, et où Lucy mariée reparaît agréablement, le jeune homme a grandi, il est artiste et homme ; l’affection sérieuse et moins fleurie aboutit à l’union durable.

Ce sont, on le voit, comme chez Nodier, des souvenirs romancés de jeunesse, mais moins romancés et avec moins d’habileté. Une certaine lenteur de ton qui se confond ici à la grace décente, l’honnêteté du cœur intacte avec la malice enjouée de l’esprit, la nature prise à point, respirent dans ces pages aimables : le sens moral qui en ressort tendrait à tuer surtout le grand ennemi en nous, c’est-à-dire la vanité. Dès le début, on voit l’écolier Jules se moquer en espiègle de son précepteur, M. Ratin, lequel a sur le nez une certaine verrue très singulière ; cette verrue nous est racontée au long et décrite avec ses poils follets, ainsi que la lutte fréquente du bon pédant avec la mouche mauvaise qui s’obstine à s’y poser. De là le fou rire de l’écolier, de là les sorties de M. Ratin à tout propos contre le fou rire et contre les immoralités qu’il engendre : « Réfléchissant depuis à cette verrue, dit notre historien, je me suis imaginé que tous les gens susceptibles ont ainsi quelque infirmité physique ou morale, quelque verrue occulte ou visible, qui les prédispose à se croire moqués de leur prochain. » Chez quelques-uns, par une variété de la maladie, au lieu de se croire moquée, la verrue se flatte d’être admirée ; elle se rengorge. C’est cette infirmité dans les deux sens que M. Töpffer appelle, pour abréger, le bourgeon, le faible de vanité d’un chacun ; il déduit très bien cela. Il y voit avec raison le germe de bien des travers et de bien des maux ; être et paraître ; c’est à l’écraser et à l’extirper, ce besoin de faire effet, qu’il croit que consiste le plus fort de la morale : « Chose singulière ! au-delà de certaines limites, l’effort tourne contre vous ; en voulant extirper le bourgeon, c’est un bourgeon que vous reformez à côté ; vous dites : Je puis me flatter que je n’ai plus de vanité, et ceci même est une vanité. Aussi, ajoute-t-il, ne pouvant tout faire, j’ai pourvu au plus pressé. Je lui laisse pour amusette mes tableaux, mes livres, en lui interdisant toutefois les préfaces, bien qu’il m’en conseille à chaque fois ; mais il est de plus sérieuses choses que j’ai mises à l’abri de ses atteintes. Ce sont mes amitiés d’abord… » Ensuite ce sont ses plaisirs, ses jouissances saines d’homme naturel, d’artiste, le dîner du dimanche sous la treille, le coudoiement du peuple, la source perpétuelle de l’observation vive. « Sous ces feuillages je retrouvais, dit-il,