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est du macaroni, comme celle de Voltaire est du champagne. Celle-ci encore a droit de sembler du moka. Les Allemands pourront nommer le plat de Jean-Paul. En lisant et relisant le Mascurat de Naudé, il me semble plonger jusqu’au coude à l’antique fricot gaulois mêlé de fin lard, ou encore me rebuter parfois sur de trop excellens harengs saurs. J’ai donc cherché le mets local analogue à l’humour que M. Töpffer répand en ses autographies, et que nous retrouverons littérairement, à dose plus ménagée, dans plus d’un chapitre de ses ouvrages ; j’ai essayé de déguster en souvenir plus d’un fromage épais et fin des hautes vallées, pour me demander si ce n’était pas cela. Je cherche encore. Ce qui est bien certain, c’est que sa plaisanterie est à lui, bien à lui, sui generis, comme disent les doctes.

Une épigraphe commune sert de préface à ces petits drames en caricature : « Va, petit livre, et choisis ton monde ; car aux choses folles, qui ne rit pas bâille ; qui ne se livre pas résiste ; qui raisonne se méprend, et qui veut rester grave, en est maître. » Mais, sans vouloir raisonner, et en croyant seulement consulter notre goût d’ici, j’avouerai que je leur préfère et je n’hésite pas à recommander surtout deux relations de voyages par M. Töpffer, que j’ai sous les yeux[1], les deux plus récentes courses qu’il ait faites en tête de sa joyeuse caravane, l’une de 1839, jusqu’à Milan et au lac de Côme, l’autre de 1840, à la Gemmi et dans l’Oberland. C’est un texte spirituellement, vivement illustré à chaque page, avec un mélange de grotesque et de vérité ; voilà bien de sincères impressions de voyage. La caricature ici n’est plus perpétuelle comme dans les histoires fantastiques de tout à l’heure, elle entre et se joue avec proportion à travers les scènes de la nature et de la vie. Je ne connais rien qui rende mieux la Suisse, telle que ses enfans la visitent et l’aiment : M. Töpffer, en ces deux albums, en est comme le Robinson, avec quelques traits de Wilkie.

Mais arrivons à ses livres proprement dits ; la peinture encore en fut l’occasion première et le sujet. Il n’avait rien publié, lorsqu’en 1826, il eut l’idée de dire son mot sur le salon de Genève, sur l’exposition de peinture. Il le fit dans une brochure écrite en style soi-disant gaulois ou très vieilli. Les premières lectures de M. Töpffer l’avaient initié, en effet, à la langue du XVIe siècle, qui est, en quelque sorte, plus voisine à Genève qu’ici même, j’ai déjà tâché de le faire comprendre. Ce goût d’enfance pour la langue d’Amyot, que Rous-

  1. Autographiées chez Frutiger, à Genève.