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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

dans leur langue ; la vraie mesure, le vrai niveau si mobile de cette langue, n’est pas au bord du Léman, mais aux bords de la Seine ; ils le savent bien, ils s’efforcent, ils se contraignent de loin pour y atteindre, et l’on s’en aperçoit. Jean-Jacques lui-même, à côté de Voltaire, sent l’effort ; il y a mainte fois de l’ouvrier dans son art. Mais c’est particulièrement chez des écrivains distingués et secondaires, tels que M. Necker, que le fait devient très sensible ; ils travaillent trop leur phrase, ils en pèsent trop tous les mots, c’est trop bien. Et puis écoutez-les causer : ils parlent comme des livres. Quintilien rapporte de Théophraste, cet homme d’ailleurs si disert, que, comme il affectait un certain mot, une vieille d’Athènes ne balança pas à dire qu’il était étranger. — Et à quoi reconnaissez-vous cela ? demanda quelqu’un. — En ce qu’il parle trop bien, répondit-elle ; quod nimium atticè loqueretur.

M. Töpffer, nous le verrons, ne paraît pas s’être posé la difficulté ainsi, et c’est pour cela peut-être qu’il en a mieux triomphé ; il n’a pas cherché à être français ni attique, il a été de son pays avec amour, avec naïveté, un peu rustiquement, cachant son art, et il s’est trouvé avoir du sel et de la saveur pour nous.

Et d’ailleurs, il faut le reconnaître, tout change ; Genève est en train de se modifier, de perdre ses vieilles mœurs et son à parte, plus même qu’il ne lui conviendrait. Nous aussi, nous changeons, et le centre de notre attraction semble moins précis de beaucoup et moins rigoureux. Le XVIIe siècle est dissous, une sorte de XVIe siècle recommence. Chacun peut y retrouver son compte et s’y gagner un apanage. Les classifications ont peine à se tenir, et les exceptions font brèche sur tous les points. Si nous avons à signaler un romancier à Genève, quoi de si étonnant ? Pradier, le plus voluptueux de nos statuaires, n’en vient-il pas ? Léopold Robert, le plus italien de nos peintres, est sorti de Neuchâtel.

Toujours est-il que si, sur les lieux, on considère de près, avec quelque attention, la physionomie générale et les produits beaucoup plus multipliés qu’on ne peut croire de la littérature courante, on reconnaît combien Genève, en tout ce qui est poétique, romanesque et purement littéraire, reste au-dessous, depuis cinquante ans, de son voisin le canton de Vaud, qui, avec bien moins d’importance et d’illustration, et sous un air de rusticité, a beaucoup plus le goût de ces sortes de choses.

M. Töpffer nous paraît à ceci une contradiction heureuse, d’autant plus heureuse que ce n’est pas un romancier simplement issu de