Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/848

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lait Genève et qu’elle savait si étroitement s’approprier, comptaient autant qu’aucun dans la balance. Mais le XVIIe siècle, en constituant le français de Louis XIV et de Versailles, qui était aussi pour le fond, disons-le à sa gloire, celui des halles et de la place Maubert, rejeta hors de sa sphère active et lumineuse le français de la Suisse réformée, lequel s’isola, se cantonna de plus en plus dans son bassin du Léman, et continua ou acheva de s’y fractionner. Ainsi l’idiome propre de Genève n’est pas le même que celui de Lausanne ou de Neuchâtel, et les littératures de ces petits états ne diffèrent pas moins par des traits essentiels et presque contrastés. Mais dans tous, si l’on va au fond et à la souche, on retrouve, à travers la diction, de vives traces et comme des herbes folles de la végétation libre et vaste du XVIe siècle, sur lesquelles, je crois l’avoir dit ailleurs le rouleau du tapis vert de Versailles n’a point passé. Ces restes de richesses, piquantes à retrouver sur les lieux, et qui sont comme des fleurs de plus qui les embaument, n’ont guère d’ailleurs d’application littéraire, et les écrivains du pays en profitent trop peu. Nous verrons que M. Töpffer y a beaucoup et même savamment butiné ; ce qui fait (chose rare là-bas) que son style a de la fleur.

Qu’on se figure bien la difficulté pour un écrivain de la Suisse française, qui tiendrait à la fois à rester Suisse et à écrire en français, comme on l’entend et comme on l’exige ici. Il faudrait, s’il est de Genève, par exemple, qu’il fît comme s’il n’en était pas, comme s’il n’était que d’une simple province ; il faudrait qu’il fût tout bonnement de la langue de Paris, en ne puisant autour de lui, et comme dans des souvenirs, que ce qu’il y trouverait de couleur locale. Mais Genève n’est pas une province, c’est bien sérieusement une patrie, une cité à mœurs particulières et vivaces ; on ne s’en détache pas aisément, et peut-être on ne le doit pas. Les racines historiques y sont profondes ; l’aspect des lieux est enchanteur ; volontiers on s’y enferme, et le Léman garde pour lui ses échos.

Combien n’y a-t-il pas eu, autour de ce Léman de Genève ou de Vaud, de jeunes cœurs poétiques dont la voix n’est pas sortie du cadre heureux, étroit pourtant, et qui, en face des doux et sublimes spectacles, au sein même du bonheur et des vertus, et tout en bénissant, se sont sentis parfois comme étouffés ! On chante, on chante pour soi, pour Dieu et pour ses frères voisins ; mais la grande patrie est absente, la grande, la vaine et futile Athènes n’en entend rien. J’ai trouvé ce sentiment-là exprimé avec bien de l’onction résignée et de la tendresse dans des strophes nées un soir au plus beau site de